Max, de Sarah Cohen-Scali

      Parmi les sorties relativement récentes que j’ai vu tourner sur la blogo littéraire ces derniers temps, je dois admettre avoir été très intriguée par Max de Sarah Cohen-Scali. Les avis semblaient dithyrambiques sur cette fiction historique et le sujet, en plein nazisme avec le projet lebensorn, était abordé d’un point de vue fascinant : celui d’un nouveau-né totalement endoctriné par le mouvement. Je me suis donc lancée dans cette lecture avec beaucoup de curiosité et en essayant de laisser mes jugements de côté.

     Max, alias Konrad, est le premier enfant né du programme Lebensborn, un programme créé sous le régime nazi dans le but de peupler l’Europe de parfaits exemplaires de l’enfant aryen. Un programme qui ne laisse aucune place au hasard : chaque parent potentiel est mesuré et analysé au millimètre près, de même que chaque enfant né du programme, afin de répondre aux normes précises souhaitées par le gouvernement. Et Max est parfait. Physique nordique, entièrement dévoué à sa patrie, prêt à mourir pour son Führer et convaincu de la prédominance de l’espèce aryenne sur toutes les autres. Si parfait qu’il va jouer un rôle très important dans ce programme : sélections, enlèvements et rééducation sont son quotidien. Sans place pour les remords ou les regrets face à la mort de ceux qui n’ont pas leur place dans cette société parfaite qu’ils construisent ensemble.

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Vraisemblance & trahison

      En littérature, il existe un principe très important appelé principe de vraisemblance. C’est un principe selon lequel le récit n’a pas besoin d’être vrai pour être raconté mais seulement vraisemblable, c’est-à-dire probable, crédible, cohérent selon les règles fixées par le récit. Par exemple, les dragons n’ont pas besoin d’être vrais pour nous sembler vraisemblables dans Game Of Thrones / Le Trône de Fer car G.R.R. Martin a d’abord installé un univers dans lequel magie et créatures surnaturelles sont crédibles. C’est une sorte de pacte que l’auteur passe avec son lecteur : tant que l’univers demeure cohérent, le lecteur accepte d’y croire. Même si ce serait impossible dans le monde réel. Et il en va de même avec Max : dès les premières pages, on est introduits dans le récit d’un nouveau-né qui s’exprime à la première personne avec un langage adulte et développé.

       De prime abord, Sarah Cohen-Scali heurte un peu le lecteur avec ce procédé : au début du roman, on a la sensation que notre pacte est un peu malmené car il nous est difficile d’accepter la prise de parole de ce petit être si facilement. Cela manque de vraisemblance sans explication interne au récit et on sent presque imperceptiblement que notre pacte implicite est trahi. C’est au fil du récit que l’auteure rend cela vraisemblable, grâce à un faisceau d’indices logiques et cohérents qui viennent nourrir son univers et nous faire voir la prise de parole de son héros d’un autre œil (l’absence d’omniscience du héros qui apprend au fur et à mesure des choses qu’il entend mais en ignore d’autre, la perte de mémoire progressive lorsqu’il grandit, etc.). Le pacte est rétabli et la narration ainsi terriblement efficace.

Ligne horizontaleRéalisme & endoctrinement

     Et grâce ce point de vue interne d’un jeune enfant ayant grandi au milieu du projet Lebensborn, dont la compréhension est limitée à ce qu’on lui a appris depuis toujours mais bouleversé par des réactions naturelles d’enfant, on atteint une certaine forme de réalisme. Fiction historique, l’histoire se base sur l’Histoire pour s’établir. Des bouts de discours, des dates, des événements réels, des références aux procédures et méthodes mises en place durant la guerre ou à des détails du quotidien (comme le rationnement) sont autant de petits marqueurs temporels qui viennent donner profondeur et réalisme au récit, qui témoignent d’une époque et nous aident à nous situer dans l’univers projeté par le roman.

     Enfin, la vraie force de ce roman, c’est de nous faire vivre l’endoctrinement de l’intérieur. Comment est-ce possible de soutenir de telles valeurs ? D’adhérer à une telle philosophie ? Tout simplement grâce à un endoctrinement savamment orchestré, un conditionnement qui débute avant même la naissance et qui ne laisse place à rien d’autre. Et on sent deux natures se battre chez notre héros : Konrad, l’enfant parfait du Reich pour lequel la doctrine nazie a façonné la façon de penser au point d’être un véritable automatisme, et Max, le jeune garçon qui a des réactions émotionnelles comme tout autre enfant lorsqu’il s’attache à une mère de cœur issue des camps ou à un frère issu d’une autre idéologie. Une ambivalence qui montre à la fois les limites de cet endoctrinement (aussi puissant soit-il, il ne peut aller éternellement contre la nature humaine) et son effet néfaste sur ceux qui la subissent (Konrad-Max étant bien souvent torturé intérieurement par ces contradictions qu’il renferme).

Ligne horizontaleLe mot de la fin

      Malgré le fait qu’on sente la patte « jeunesse » assez présente dans ce livre, Max est une bonne fiction historique, qui arrive à garder son lecteur accroché tout au long du récit tout en lui donnant une bonne leçon de devoir de mémoire. Le point de vue est différent de ce qu’on peut lire habituellement sur cette période sombre de l’Histoire : on est du côté de l’ennemi, mais un ennemi bien moins inhumain qu’on ne veut le supposer. Un ennemi qu’il fait mal de détester.

4 réflexions sur “Max, de Sarah Cohen-Scali

    • C’était ma première lecture de l’auteure mais ça me donne bien envie d’en découvrir d’autres ! En lisant le résumé d’Orphelins 88, je me rends compte qu’il semble y avoir pas mal de thématiques communes entre les deux romans. Le point de vue original que l’auteure décide d’adopter dans chacun peut faire toute la différence (et c’est ça qui donne le plus envie de lire ses livres !), j’espère juste qu’elle ne fait pas trop redondance entre les deux. Le début d’Orphelins 88 tel que décrit dans le résumé fait beaucoup penser à la fin de Max, en fait !

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  1. Le principe de vraisemblance que tu décris, j’y ai adhéré, alors que bon… il s’agit d’un foetus doué de pensées auxquelles nous avons accès 😉 C’est surtout le réalisme de l’environnement historique qui m’a le plus marquée… sans aucun doute parce que je venais juste de lire un livre documentaire sur ce concept.

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    • J’avoue que pour ma part, j’ai mis un moment à y adhérer mais c’est bien que tu aies réussi à être dedans dès le début, ça prouve que ce n’est pas la faute du talent de l’auteure mais juste la sensibilité de chaque lecteur ! L’auteure arrive à restituer tellement d’impressions qu’on a presque la sensation d’y être et de voir ce petit bonhomme évoluer comme un vrai.

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