Anasterry, d’Isabelle Bauthian

Bien qu’un peu retardée par le confinement, c’est une lecture néanmoins dévorante que j’ai faite d’Anasterry d’Isabelle de Bauthian. Anasterry est le premier tome de la saga Les Rhéteurs, ce que j’ignorais en me lançant et c’est d’ailleurs un tout petit reproche que j’aurais à faire aux éditions ActuSF, puisque aucune mention n’en est fait ni en couverture, ni sur le site et ce n’est pas la première fois que je me fais surprendre) Ceci dit, le livre se lit très bien indépendamment (même si maintenant, j’ai envie d’en lire la suite !) et nous fait découvrir une aventure politique et humaine assez marquante.

cli8-1-2 - CopieRenaldo de Montès et Thélban Acremont, amis de longue date, débarquent à Anasterry pour une mission diplomatique : le cadet de la famille régnante et le chef de guilde sont officiellement là pour commercer, mais aussi pour mieux connaître cette puissante baronnie qui pourrait bien les menacer un jour. Pour ces deux jeunes bourgeois désinvoltes, la mission prend une tournure de jeu, surtout quand ils se lancent le défi de séduire leur guide : Constance, une femme-guerrière comme ils n’y en a guère à Montès. Mais la ville autant que la jeune femme ont de quoi les surprendre et il leur devient difficile d’y trouver des failles.

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Personnages gris & monstres à Anasterry

Avec Anasterry, on est confronté à ce genre de personnages qu’on apprécie et qu’on déteste en même temps. C’était le même effet que m’avait provoqué Benvenuto dans Gagner la guerre, par exemple. Et c’est un peu l’idée que je me fais d’un personnage réussi : un personnage tout en nuances. Ici, nous avons affaire à des personnages de petits bourgeois un peu prétentieux, qui prennent « les gueux » de haut, sortent boire en se moquant du monde, font des paris sur les femmes… Ils ont donc un côté détestable au premier abord (pour moi en tout cas, mais c’est peut-être ma fibre prolétaire qui parle !). Mais le récit prend soin de dévoiler également leur fond bienveillant au fur et à mesure de l’intrigue. Ils se révèlent sous leurs aspects petits bourgeois et font montre d’humanité, malgré leurs défauts. Ils ne sont ni tout bons, ni tout mauvais : ils agissent pour de bonnes raisons, ne veulent le mal de personne, mais sont capables d’actions moralement douteuses, ou laissent planer le doute sur leur réaction dans des situations tendues. Tout cela permet, en fait, d’en faire des personnages qui ne sont ni héros, ni anti-héros mais juste humains, et finalement assez attachants à leur manière.

« Il n’y a pas de monstre à Anasterry ! »

Tout au long du récit, revient cette dénégation constante du fait qu’il y ait des monstres à Anasterry. Si sa première occurrence ne marque pas forcément les esprits, son retour régulier finit par titiller l’oreille. Cette phrase apparaît, petit à petit, comme un leitmotiv pour essayer de convaincre d’abord les autres, puis peut-être ceux-là mêmes qui le prononce. C’est le « meilleur des mondes possibles » de Candide, en quelques sortes. Et à travers cette question, c’est tout la notion de monstre, très abordée en littérature, qui est remise en question : qu’est-ce que le monstre ? Est-ce toute créature non humaine ? Voire, tout ce qui est difforme ? Ou ce qui fait du mal ? Qui attaque l’humanité ? Ou fait le mal, comme l’humanité ? À l’image de Frankenstein, le monstre n’est-il pas seulement celui que l’Homme se fabrique ? Ou celui que l’Homme désigne comme tel ? Le monstre, comme la rose, change-t-il s’il ne se nomme pas monstre ? On en arrive alors à s’interroger sur le pouvoir de la parole et de la rhétorique. La parole qui peut moduler la réalité, convaincre les autres, se convaincre soi-même, manipuler le peuple, conserver le statu quo ou détruire tout un équilibre… Tout cela par la parole.

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Le mot de la fin

Avec ce premier tome, Isabelle Bauthian démontre toute la pertinence du titre de sa saga. Dans Anasterry, la rhétorique est au cœur du propos : le dit, le non-dit, le mensonge, la rumeur, la légende et la force de conviction sont autant d’armes à disposition du politique pour conserver l’équilibre de son État et influencer les grandes directions de son Histoire. On regrettera peut-être un rythme assez lent, une amorce un peu longue à démarrer, mais on savourera toute l’importance donnée au verbe dans ce premier tome. S’annonçant comme un univers socio-politique riche, Les Rhéteurs signe là une très belle entrée en matière, qui remet en question la notion de monstruosité tel un Frankenstein des temps modernes et remet, tout comme Mary Shelley, le discours au cœur du récit.

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