Le Baron Perché, d’Italo Calvino

      Après avoir lu il y a pas mal de temps Le Vicomte pourfendu et Le Chevalier inexistant d’Italo Calvino, je m’étais gardé de côté Le Baron perché du même auteur. Ces trois livres forment la trilogie Nos Ancêtres, contes philosophiques au ton humoristique. Les titres, aussi surprenants puissent-ils paraître, décrivent exactement la situation du héros. Le Vicomte pourfendu et Le Chevalier inexistant présentent tous deux un élément de merveilleux (un corps, pourfendu en deux dans le sens de la hauteur, continuant à vivre pour l’un ; et une armure vide maintenue à l’existence par simple volonté pour l’autre) mais Le Baron perché fait exception en présentant un postulat plus réaliste mais tout aussi surprenant : un jeune garçon monté dans un arbre qui n’en est plus jamais redescendu.

    Suite à une dispute avec ses parents, Côme, fils aîné d’une baronnie, décide d’aller se percher dans les arbres et jure de n’en plus jamais redescendre. Si cela passe d’abord pour un caprice que tout le monde pense temporaire, les années vont défiler sans que Côme ne redescende effectivement de son arbre. Raconté par son jeune frère, le roman fait le récit de la vie de Côme dans les arbres et de la façon toute particulière qu’il a, malgré tout, de s’intégrer à la société.

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Mise en perspective & acceptation

   Au-delà du récit plaisant, assez drôle et aventureux à suivre, tout le roman peut aussi être lu comme une métaphore filée. En effet, en montant dans les arbres, Côme élève son point de vue sur la société : il adopte une façon différente de voir les choses, apprend à prendre du recul et invite de même le lecteur à avoir ce regard extérieur plus critique sur les choses, plus constructif. Au final, ses aventures sont une remise en question permanente de ce qu’il voit. Par sa prise de hauteur, il apprend à faire les choses différemment, s’écarte de la doctrine qui veut que l’on fasse les choses comme on les a toujours faites pour s’interroger sur la meilleure façon de les faire (en tout cas adaptée à sa situation). Dans le dernier chapitre, le parallèle est également fait avec la posture d’écrivain, qui doit lui-même porter un regard différent sur le monde, prendre de la hauteur pour questionner les choses.

    Un autre aspect du roman qui m’a frappée à la lecture, ce sont les différentes façons qu’ont les personnages secondaires d’accepter Côme dans ses fantaisies, sa différence. De la part du frère qui est aussi narrateur de l’histoire, on constate que l’acceptation totale et inconditionnelle : la différence de son frère n’est en rien un motif d’ostracisme ou de rejet de celui-ci. Pour leur mère, on sent un entre-deux, à mi-chemin entre l’acceptation de cette condition, et l’espoir malgré tout d’un retour « à la normale ». Du côté de leur père, c’est tout l’inverse : on assiste à un rejet total de son fils dès lors qu’il choisit de vivre dans les arbres, assimilable à un refus simple et définitif d’accepter toute forme de différence, craignant particulièrement le jugement des autres (et les conséquences que cela peut avoir sur son statut social). Ainsi, le roman entier peut-être mis en parallèle avec tout type de différence vectrice de préjugés (orientation sexuelle, handicap, marginalisme….).

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Le mot de la fin

      Malin, captivant et amusant, Le Baron perché d’Italo Calvino est à l’égal des autres livres de la trilogie : un vrai petit plaisir à lire, qui divertit aussi bien qu’il enseigne. Par cette métaphore filée, finalement, de l’homme qui prend de la hauteur pour observer le monde, Calvino nous présente un autre point de vue sur notre société et ses mœurs. L’occasion de remettre en perspective ce qui nous entoure et de s’interroger à nouveau sur les évidences prises pour acquises. Une réflexion amenée tout en douceur, sans jamais perdre du côté ludique de l’aventure vécue par Côme.

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