Fières d’être sorcières ? Le féminisme dans Harry Potter

     Reçu en cadeau à Noël, la blogo (notamment Ibidouu et Ma Lecturothèque, de mémoire, mais je sais que j’en ai vu passer d’autres) m’avait prévenue de ne pas avoir de grandes attentes en dehors d’un joli livre avec Fières d’être sorcières ! de Laurie Calkhoven. Eh bien je ne peux qu’abonder dans leur sens, et plus encore. Si je n’en attendais pas grand chose, je pensais au moins y trouver un propos, aussi dilué et convenu puisse-t-il être. Mais tout le livre ne fait que nous présenter foison d’exemples tirés des livres, qui pourraient être la base d’un bon argumentaire pour prouver quelque chose… Mais sans l’argumentaire en question. Je suis assez étonnée de tout ce travail de recherche qui, finalement, ne mène à rien. Du coup, plutôt que de commenter le livre, je vais vous présenter mon propre argumentaire sur le thème suivant : le féminisme dans Harry Potter, instrument ou moteur ?

cli8-1-2 - Copie     C’est un fait, les femmes sont très présentes dans l’univers de Harry Potter. Hermione Granger, Minerva McGonagall, Molly et Ginny Weasley… Nombreuses sont celles qui ont marqué l’histoire des sorciers, et nul doute que la bataille de Poudlard ne se serait pas aussi bien conclue sans elles toutes. Mais leur simple présence fait-il pour autant d’Harry Potter une œuvre féministe ? Entre représentation et rôle moteur, quelle place de la femme dans Harry Potter ?

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Des femme fortes au cœur de l’intrigue

     Il est indéniable que les personnages féminins ont une place certaine dans l’intrigue de l’heptalogie. Nécessaire à l’évolution de l’intrigue, elles accomplissent des actes d’envergures. Ron l’avoue lui-même : sans Hermione, Harry et lui n’auraient pas survécu 5 minutes. Grâce à son ingéniosité, elle permet de résoudre dès le premier tome des énigmes sans lesquelles Harry n’aurait jamais été capable d’accéder à la pierre philosophale et démontre sa grande intelligence à de nombreuses reprises après cela. Considérée comme une jeune sorcière à l’intelligence phénoménale, elle est bien partie pour révolutionner le monde de la sorcellerie et ne sera pas la première femme à le faire. Nombreuses sont celles qui ont marqué l’Histoire de la Magie, à commencer par les deux fondatrices de Poudlard, Rowenna Serdaigle et Helga Poufsouffle. Cette parité parfaite entre les quatre fondateurs de Poudlard pourrait être le signe d’une parité identique de la société magique. Pourtant, force est de constater également que les deux fondatrices représentent tout de même les maisons considérées comme « mineures » face aux deux maisons prédominantes que sont Gryffondor et Serpentard.

    Qui dit femmes de pouvoirs, dit aussi antagonistes crédibles. Car reconnaître l’égalité femmes-hommes, c’est aussi reconnaître à celles-ci la possibilité de faillir. Loin d’être mises sur un piédestal, la femme est capable du meilleur comme du pire. En cela, même si l’antagoniste principal est masculin (quoi qu’on pourra remettre sa sexualisation en question dès lors qu’il parachève sa transformation de Tom Jedusor en Voldemort), se retrouve essentiellement représenté par deux antagonistes féminines marquantes : Bellatrix Lestrange et Dolores Ombrage. Aussi différentes l’une que l’autre, elles n’en sont pourtant pas moins effrayantes tout en utilisant fortement certains stéréotypes collant à l’image de la femme. L’une est l’image même de l’hystérique, l’autre est celle de la vieille fille acariâtre, reine de la bien-pensance. Toutes deux sous la houlette d’un homme de pouvoir (le Ministre de la Magie / le Seigneur des Ténèbres), elles se révèlent terribles par l’exacerbation de leurs travers féminins mais tirent l’essentiel de leur crédibilité du pouvoir de leur supérieur.

      Et nombreuses sont encore les femmes présentes au cœur de l’intrigue d’Harry Potter, aux représentations féminines aussi variées que Ginny Weasley (l’adolescente en quête de crédibilité et d’indépendance face à ses frères envahissants), Molly Weasley (l’image même de la mère au foyer), Minerva McGonagall (l’autorité stricte mais bienveillante), Nymphadora Tonks (la révoltée désireuse de vivre sa vie comme elle l’entend), Rita Skeeter (la carriériste sans scrupules)… Et j’en passe pléthore d’autres. Le fait est que Harry Potter fait preuve d’une véritable sensibilité à l’égard de la représentation aussi quantitative que qualitative de l’image des femmes par le traitement de ses personnages féminins.

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Un monde dominé par l’homme

     Néanmoins, la multiplicité de figures féminines marquantes dans Harry Potter ne parvient pas à contrebalancer la prédominance des personnages masculins au centre de l’histoire. Outre notre héros éponyme, nous constatons que le trio de personnages principaux compte deux garçons (Harry et Ron) pour une seule fille (Hermione), que la famille Weasley, famille la plus présente dans l’œuvre, compte 7 garçons/homme pour 2 fille/femme, que le Tournoi des trois sorciers compte 3 candidats pour 1 candidate, que l’Ordre du Phénix dans sa formation initiale comptait plus de deux fois plus d’hommes que de femmes (18 hommes / 7 femmes), ou que, de manière générale, Poudlard comme le Ministère et même le cercle des Mangemorts comptent davantage d’hommes que de femmes aux postes-clefs. En somme, malgré de femmes indéniablement fortes et puissantes capables de se révéler, la société magique reste, à l’égal de la société moldue, dominée par l’homme. Et, dirais-je même plus, le fameux homme blanc hétéronormé.

    Car la représentativité femmes-hommes n’est pas la seule à nous concerner dès lors que l’on parle d’égalité sociale. Et force est constater que, même si les sorciers leur volent souvent la vedette, les sorcières sont autrement mieux représentées que les minorités ethniques. Parmi les figures marquantes, on se souviendra de Cho Chang, les sœurs Patil, Seamus Finnigan ou Kingsley Shackelbolt (voire Hermione Granger, si l’on admet les dernières théories à ce sujet) mais guère plus. Et même s’ils ont une relative importance dans l’intrigue, ils n’en sont que rarement le centre (exception faite pour Hermione, bien sûr) mais, surtout, ils sont largement sous représentés par rapport au métissage actuel largement diversifié de notre société. Et quant à la diversité des orientations sexuelles, pour sa part, elle est quasiment inexistante. Le seul exemple pertinent est celui d’Albus Dumbledore, qui représente 1 personnage gay sur plus de 5000 pages d’histoire (et je ne saurais dire combien de personnages), et encore seulement évoqué par le sous-entendu sans même une allusion franchement directe. Hors, dans une école remplie d’adolescents en plein âge de quête identitaire, il est assez peu probable qu’aucune autre forme d’orientation sexuelle ne soit explorée.

     Au final, dans Harry Potter comme dans notre société, l’essentiel du pouvoir demeure aux mains de l’homme. On ne peut, alors, reprocher un manque de représentativité flagrant à la saga, qui ne fait que coller aux codes en cours dans notre société. C’est cohérent. Cohérent, mais dommage mais dommage dans un monde où, justement, on avait la possibilité de faire bouger les normes pour mettre en avant une alternative positive et égalitaire de la société.

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Le mot de la fin

    Au final, plus que moteur ou féministe, la place de la femme dans Harry Potter est surtout représentative de notre monde, sans travestissements qu’ils soient positifs ou négatifs. Cela peut se comprendre dans une saga qui se veut instiller la magie dans notre monde quotidien. Mais du coup, cela signifie qu’on ne peut réellement taxer Harry Potter de diffuser un message féministe particulier. La saga se contente d’une bonne représentativité féminine, avec quelques travers vis-à-vis des autres formes de diversité, sans pour autant qu’ils soient exacerbés, puisqu’ils restent propres à notre société.

    Reste à parler de la femme qui a le plus marqué la saga Harry Potter : J.K. Rowling elle-même. Accusée de pink washing et autres faux-semblants en ajoutant des messages positifs à son œuvre a posteriori, je ne saurais me prononcer sur cette part des actions de J.K. Rowling mais je trouverais injuste de nier l’impact positif de son œuvre sur la société. Par son succès, elle marque indéniablement l’histoire de la littérature. Son œuvre, sans aucun doute, a marqué toute une génération (voire plus) de lecteurs (et de spectateurs) et représente une figure de réussite pour toutes les jeunes filles, dans une société qui n’a finalement pas besoin de beaucoup plus pour orienter ce monde en tant soit peu vers le chemin de l’égalité femmes-hommes.

16 réflexions sur “Fières d’être sorcières ? Le féminisme dans Harry Potter

  1. J’aime beaucoup comment cet article présente ta réflexion au lieu de parler du livre. Je trouve & crains que pas mal de livres parlant de l’univers HP, qui continuent d’être publiés, ne font que reprendre et compiler des faits des univers livresques et cinématographiques illustrés.
    Tes propos sur l’égalité sociale puis les minorités ethniques me rappellent par ailleurs un article lu récemment sur l’importance de diversifier les illustrations voire adaptations de cet univers. Ainsi on ne restreint plus les personnages à une image et plusieurs personnes peuvent s’y projeter. Même si, de mémoire, Hermione est décrite avec sa chevelure en bataille et ses dents proéminentes dans le livre (?) je ne crois pas qu’il y ait eu d’indication sur sa couleur de peau. Alors blanche dans les films ou noire au théâtre ? C’est intéressant et ça me plaît.
    Peut-être que si une série venait à exister sur cet univers, les personnages féminins et d’autres points pourraient y être davantage et autrement développés ? N’ayant pas le don de double vue de Trelawney je m’en vais attendre.

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    • Je suis super contente de ton retour, merci ! ❤
      J'ai assez peu de livres autour de l'univers Harry Potter mais j'ai en effet l'impression que la tendance est davantage de faire un livre "beau livre" pour le fan service qu'un livre avec du propos. Et c'est super dommage : on est bien placées pour savoir qu'il y a plein de travaux universitaires super intéressants sur le sujet, qui n'auraient aucun mal à se vendre au grand public étant donné le public énorme passionné par le sujet, et que pourtant on ne voit jamais sur les étalages des librairies ! Est-ce que ce sont les maisons d'édition qui ne veulent pas prendre ce risque ? Les universitaires qui snobent l'édition grand public ? Les libraires qui jugent ça moins vendeur ? Je n'en ai aucune idée mais c'est passer à côté d'une telle opportunité…
      Quant au débat sur la couleur, il m'a toujours semblé assez vain dans le sens où il n'a pas d'impact sur l'histoire alors pourquoi pas ? Une Hermione noire, ça aurait pu être l'occasion de parler de discriminations à l'école, l'insulte envers les Sang-de-Bourbe aurait une double signification pour elle, ou même son combat pour la SALE gagnerait en relief, mais comme ça n'a pas été exploité, c'est juste l'occasion d'offrir un peu plus de diversité au casting, ce qui en soit ne peux pas faire de mal à la saga^^

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  2. Quel point de vue intéressant ! Cet article m’a beaucoup fait réfléchir car j’avoue que j’ai toujours considéré la saga comme une œuvre féministe a cause/grâce à son auteur qui est une femme… à tort bien entendu ! Être une femme ne veut pas dire être féministe on l’oublie souvent…
    Mais je pense que J.K Rowling a donné la même place aux femmes que au hommes, mais malheureusement en ressortant de vieux clichés comme Ginny qui tombe amoureuse de Harry avant même de lui avoir adressé la parole dans le tome 1 (elle l’aime pour son physique et sa célébrité) ce qui ne fait que renforcer la mentalité de certain au sujet des femmes. Parfois c’est inconscient mais c’est ça le pire je pense. Ce n’est que mon point de vue mais merci pour cet article intéressant.

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    • Merci (beaucoup, beaucoup! ) de partager ton point de vue, très positif pour moi, car mon but est toujours de susciter le dialogue et la réflexion !
      Je comprends totalement cette idée (et me demande même si je n’ai pas longtemps fait l’assimilation moi-même, d’ailleurs) : une femme écrit, et une partie de personnages féminins complexes notamment, donc comment ça pourrait ne pas être féministe ? J’aime la façon dont elle représente les femmes dans toutes leurs diversités de caractères dans sa saga et je trouve qu’elle donne ainsi de très beaux modèles à ses jeunes lecteurs (plus si jeunes aujourd’hui, pour certains, mais jeunes à la base ! ^^) mais je trouve qu’il manque encore un petit coup de pouce pour faire sortir la saga d’une simple représentation fidèle de notre monde à un modèle de société un peu plus égalitaire. Et sans doute, effectivement, que jouer sur des clichés tels que le crush de Ginny renforce ce biais !

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  3. Ton article est très intéressant et fait réfléchir ! bon, je n’ai pas grand chose à rajouter à ce qui a déjà été dit dans les commentaires 😛
    En revanche, le texte a maintenant plus de 20 (du moins pour le premier), peut-être que si J.K. Rowling l’avait écrit aujourd’hui elle aurait abordé certains sujets qu’on commence à voir davantage en littérature jeunesse (je pense notamment à la question de la sexualité, c’est vrai que des ados enfermés ensemble, internes, je pense que la question doit bien se poser à un moment donné). Après l’important n’était peut-être pas là pour Rowling ^^

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    • C’est un rappel super précieux à faire ! En effet, j’ai analysé mon ressenti sur la saga avec un regard de lectrice/spectatrice d’aujourd’hui mais il ne faut pas oublier que la sensibilisation au féminisme comme à la diversité des représentations n’était pas la même il y a 20 ans ! De la même manière qu’on n’aborde pas le thème « nègre » chez Agatha Christie qu’on l’aborderait chez un auteur contemporain. Le contexte est un prisme précieux et je l’ai peut-être un peu oublié dans mon postulat^^

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  4. C’est vrai que certains romans écrits il y a 50 ans nous feraient bondir aujourd’hui (sur la place de la femme ou effectivement, les termes comme « nègres » qui ne choquaient pas à l’époque) et qu’on a parfois tendance à oublier le contexte ^^

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