Le Lion, de Joseph Kessel

       Rendue très curieuse par les énormes éloges que j’avais entendu sur ce livre alors même que je ne le connaissais pas jusque là, cela faisait quelques mois que je ressentais une très forte envie de découvrir le roman Le Lion de Joseph Kessel. Je me suis donc fait plaisir dès que je suis tombée dessus par hasard en occasion et l’ai lu à peine reçu. Ignorante de l’histoire ou des thèmes abordés par le livre, j’y suis allée seulement en rêvant des grandes steppes africaines, l’espoir d’une rencontre avec la vie sauvage au cœur, et j’ai été fort bien servie.

        Un narrateur anonyme débarque dans une réserve naturelle africaine où il fait une rencontre plus que surprenante : la petite Patricia est une enfant qui parle aux animaux et s’est liée d’une amitié incroyable avec King, le grand lion. Autour d’elle, gravitent ses parents, John Bullit, ancien chasseur repenti et directeur du Parc, et Sybil Bullit, dame de la ville mal adaptée à la vie sauvage. Tous trois, malgré l’amour immense qui les unit, sont en conflit permanent pour savoir ce qui serait le meilleur pour l’avenir de la petite fille.

Ligne horizontale        Vie sauvage & domination.

        Ce roman, construit sous la forme d’un récit de voyage fictif, a pour maître-mot le dépaysement. En effet, l’intrigue nous porte au cœur de l’Afrique centrale, dans une réserve naturelle où le narrateur effectue un véritable retour à la vie sauvage dans laquelle il nous entraîne à sa suite. À travers ce personnage-narrateur anonyme mais clairement farouche citadin, on ressent très fortement le décalage entre la grande ville et les steppes sauvages mais également l’attrait que celles-ci peuvent représenter. L’œil du narrateur nous permet de déceler la grandiose beauté qui s’en dégage, d’en apprécier le calme et d’en admirer la sauvagerie. Ici, la sauvagerie n’est pas un terme négatif mais plutôt un synonyme de liberté, de simplicité et de retour à la nature. C’est un regard émerveillé qui est porté sur cette vie sauvage, soutenu par l’amour de Patricia et de son père pour ce mode de vie et à peine modéré par la frayeur que cette nature provoque chez sa mère dont la crainte toute citadine prête à la moquerie plutôt qu’à l’empathie.

       Tout au contraire de sa mère et plus encore que son père, Patricia est une enfant de la nature. Elle a toujours vécu au cœur de ces contrées sauvages, a grandi aux côtés des animaux et s’est empreinte de leur force et de leur liberté. Loin des règles de la civilisation européenne, la jeune fille s’est adaptée aux règles qui régissent la vie sauvage jusqu’à en être une partie intégrante et, parmi ces règles, c’est la loi du plus fort qui règne par-dessus tout. Patricia a donc dû apprendre à imposer sa domination auprès des gros animaux afin de gagner leur respect et d’être ainsi en sécurité à leurs côtés. Cependant, son mode de vie ne lui a pas vraiment appris à faire la distinction entre vie sauvage et vie civile sur certains points – bien qu’elle sache également se conduire en petite fille modèle lorsqu’elle le souhaite – dont celui-ci est le plus flagrant. Patricia cherche ainsi à dominer tous ceux qui l’entourent : King le lion mais également son propre père ou son garde-du-corps. Elle a le sentiment que ceux-ci lui appartiennent car ils se trouvent sous sa domination ; on perçoit là les limites de la vie sauvage qui ne sait pas faire preuve de vertus telles que le partage ou l’égalité mais repose sur une loi dure et égoïste.

Ligne horizontale        Fierté & narrateur.

        La fierté est ce qui caractérise le plus les protagonistes du Lion. Entre Patricia, la fillette qui ressent le besoin de dominer tout ce qui l’entoure, ses parents qui se battent sans cesse pour imposer leur vision de l’éducation sans pouvoir tolérer de compromis et Oriounga, le guerrier maasaï qui a pour seule idée de prouver sa supériorité, tous rivalisent de fierté mal placée. Et c’est justement cette fierté qui va leur attirer des ennuis. Aucun n’étant capable de laisser sa fierté de côté pour voir quel mal cela leur fait, chacun devient l’instrument de sa propre perte. Oriounga se jette littéralement dans la gueule du lion alors que rien ne l’y obligeait, Patricia est celle qui provoque cette confrontation qui va lui enlever tout ce à quoi elle tient et ses parents, à force de se disputer son mode d’éducation, la perdent tous deux en oubliant de la faire passer en premier dans l’ordre de leurs priorités. Tous auraient finalement pu échapper à cette fin désastreuse s’ils ne s’étaient pas laissés guider par leur fierté et avaient plutôt fait preuve d’un peu de sagesse.

        À l’opposé de cette débauche de fierté, il y a la figure du narrateur, qui fait son récit à la première personne, comme un double de l’auteur relatant un récit de voyage fictif. Le narrateur est une figure omniprésente dans le roman puisque toute l’histoire nous est contée de son point de vue et pourtant, il sait se faire extrêmement discret. Il semble moins acteur que spectateur des évènements : il est toujours présent, assiste à tout ce qui se passe mais intervient rarement. Il tient plus souvent de la présence apaisante pour les autres personnages ou du confident mais ne prend jamais vraiment part au conflit qui les oppose. On en sait d’ailleurs assez peu à son sujet : on n’a aucun élément physique, à peine quelques détails devinés sur son passé ou son caractère, et même pas un nom à mettre sur lui. On connaît seulement sa réaction face aux évènements auxquels il participe. Le narrateur se fait ainsi témoin de l’histoire, mettant sa propre figure de côté pour laisser le champ libre à celle de ses héros et surtout, comme il le dit lui-même, toujours soutenir la petite Patricia avant toute autre chose.

     Le Lion de Joseph Kessel est donc un roman que je ne saurais que trop recommander. Ce livre effectue un véritable retour à la vie sauvage, il nous fait voyager à travers les grandes steppes africaines à la rencontre de ces animaux pourtant inaccessibles et en profite pour nous faire découvrir le fond tout aussi sauvage de la nature humaine.

12 réflexions sur “Le Lion, de Joseph Kessel

  1. Mon premier livre « d’adulte » ! Je l’ai lu en primaire et encore aujourd’hui je me demande encore comment la bibliothécaire et mes parents m’ont laissé emprunter ce livre ^^;
    J’ai pleuré comme une madeleine, d’ailleurs c’est l’un des rares romans qui me fassent toujours verser une larme (alors que je le connais par coeur tellement je l’ai relu)

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  2. J’avais adoré ce roman découvert en 6ème lors d’une lecture imposée. Je l’avais lu avec mes yeux d’enfant. A présent, tu me donnes envie de le relire avec un regard plus adulte, et de découvrir les différents niveaux de lecture que je n’avais pas perçu à l’époque 🙂

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    • C’est vrai que le personnage de Patricia, assez ambigu avec ses deux faces, entre petite fille adorable et figure d’autorité m’a parfois paru presque effrayant alors qu’on ne doit pas du tout avoir le même rapport avec lorsqu’on lit l’histoire étant nous-mêmes enfants !

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    • Roh, tu me rassures, tout d’un coup ! Je voyais tout le monde dire qu’il l’avait lu étant jeune, j’ai cru être totalement passée à côté de quelque chose… Mais je me sens moins seule, là xD

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    • Je me demande ce que ce roman donne en tant que relecture ! C’était beaucoup le frisson de la découverte qui me faisait sentir une véritable exploratrice aux côtés du narrateur, je me demande donc si ça marcherait aussi bien en connaissant l’histoire d’avance^^

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  3. Je l’ai lu l’été entre ma 4e et ma 3e car le livre avait été conseillé par mon professeur de français (que j’appréciais beaucoup). Je trouve ce roman très fort et m’a marqué. Ta chronique est très intéressante, chapeau !

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