Le Grand Secret, de Barjavel

     Dans le cadre du HMSFFF Challenge, je me suis retrouvée fort dépourvue, quand la bise janvier fut venu : dans ma PAL, je n’étais pas sûre d’avoir d’utopie/dystopie encore à lire. Et pourtant, en cherchant bien, je suis tombée sur un livre pile poil dans le thème qui prenait la poussière depuis quelques années déjà : Le Grand Secret, de René Barjavel. Ayant, jusqu’ici, plutôt bien apprécié les œuvres de l’auteur, je n’ai pas hésité bien longtemps à entamer celle-ci.

HMSFFF

cli8-1-2 - CopieDans notre société actuelle, un scientifique indien fait une découverte extraordinaire qui pourrait bien bouleverser l’avenir de l’humanité. Il en fait part à son président, qui le révèle aux dirigeants de plus grandes puissances mondiales. Mais quelle est cette découverte ? C’est un secret bien protégé, après lequel Jeanne va courir pendant 20 années après que son amant, Roland, disparaisse à cause de lui sans qu’elle comprenne bien ni comment, ni pourquoi.

Attention : pour vous parler de ce livre, je vais être obligé de vous spoiler le fameux « secret » qui donne son titre au livre et qui occupe une bonne moitié de l’ouvrage.

Ligne horizontaleInnocente utopie & immortelle dystopie

     Impossible de parler des thématiques de ce livre sans dévoiler le « grand secret » qui lui donne son titre et demeure mystérieux pendant sa première moitié (bien qu’on devine plus ou moins l’idée en cours de route), je rappelle donc à ceux qui souhaitent garder la surprise de faire demi-tour. Ceci étant dit, le roman tourne autour des implications d’une invention capitale : le remède à la mortalité. Par pur hasard, un virus condamnant ses victimes à devenir immortelles est découvert en Inde. Toute personne soupçonnée d’être infectée est alors enlevée et retranchée sur une île perdue, totalement isolée du monde, dans une base en huis clos pour qu’aucune particule n’en sorte et gardée par des milices de militaires tout autour. Notre héroïne, après 20 années de recherche, atterri finalement sur cette île et y découvre une véritable utopie, digne du jardin d’Éden. En 20 ans, les personnages immortels cloïtrés sur cette île ont recréé un paradis sur Terre et les enfants nés sur l’île en sont le reflet : vivant nus jusqu’à leur majorité, ils sont libres en tout points, ne sont obligés à rien, picorent la connaissance à droite à gauche, participent à toutes les décisions les concernant, sont libres de leur corps et découvrent les activités sexuelles à tout âge. Dans cette utopie, la régulation se fait naturellement, sans répression et grâce à la bonne volonté de chacun. Une utopie qui, comme toute autre, a pourtant ses limites.

       Et la limite s’affirme quand une adolescente de l’île tombe enceinte. Car cela donne envie à toutes les jeunes filles de tomber enceintes, alors même que c’est impossible : leur enfermement sur l’île est directement lié à la problématique des naissances. En effet, sans mortalité, la surpopulation menace directement l’humanité. En s’isolant et en ajoutant des contraceptifs à leur nourriture, les isolés avaient jugulé le problème. Mais maintenant que les jeunes filles veulent procréer, ils n’ont plus le choix que de les forcer ou se condamner. L’utopie vire alors à la dystopie quand il s’avère qu’il n’existe plus de bon choix dans ce jardin d’Éden clef de sa propre destruction. L’utopie peut-elle exister ou doit-elle demeurer un rêve ? L’humanité pourrait-elle survivre à la satisfaction de ses propres désirs ? Barjavel semble vouloir nous prouver que non, par ce récit, et pourtant il ne peut s’empêcher une marge d’hésitation avec sa fin ouverte, comme un « et si… » laissant la question en suspens.

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Le mot de la fin

     Entre impossibilité d’une utopie viable et durable et catastrophe humaine créée par l’immortalité, Barjavel nous montre la face la plus sombre des rêves et espoirs de l’humanité dans Le Grand Secret. Dévorée par ses propres désirs, l’humanité a beau essayer de se renconstruire positivement, elle retombe invariablement dans ses travers quand les problèmes surgissent, jusqu’à se détruire elle-même. C’est un portrait plutôt pessimiste de l’humanité que dresse ici Barjavel, sans pour autant jeter la pierre à nos sociétés : les pays ont su collaborer pour protéger l’humanité. C’est l’humanité elle-même qui n’est pas prête à assumer les conséquences de ses rêves. L’État de nature initial des enfants de l’île, bon et sans mauvaises pensées, très semblables à celui décrit par Rousseau, ne dure que le temps de l’utopie ; le retour à la réalité marque aussi celui de la violence et de l’ignorance d’une jeunesse qui se refuse à écouter la voix de la logique et de la sagesse.

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3 réflexions sur “Le Grand Secret, de Barjavel

  1. Ce livre a été ma première découverte de l’auteur et j’avais adoré suivre ses réflexions au fil du récit à propos de l’humanité et de sa capacité à évoluer et son habitude à se détruire elle-même. Tu me donnes envie de le relire, ton avis est analyse bien le propos du roman, tu m’as replongé dedans.

    Aimé par 1 personne

    • Mon premier livre de Barjavel, c’était La Nuit des temps et j’avais aussi adoré sa façon d’aborder des questions existentielles à travers ses histoires. J’ai eu un peu plus de mal avec Le Grand Secret, qui est très long à se mettre en place, mais une fois sur l’île, les réflexions s’enchaînent et les pages se dévorent !

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    • Oui, j’ai préféré moi aussi La Nuit des temps, c’est vraiment une lecture enrichissante et prenante. J’ai aussi beaucoup aimé certaines de ses nouvelles comme Une rose au paradis dont les thèmes peuvent faire un peu penser au Grand Secret et le recueil Les Enfants de l’ombre qui est aussi très intéressant et qui nous interroge sur notre société future.

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