Si Humain.e.es, trop humain.e.s de Jeanne-A Debats est le troisième tome de la saga Testament et le cinquième du Cycle de Navarre, il est aussi mon premier livre de l’auteure que je voulais découvrir depuis longtemps et dont l’occasion m’a été donnée par les éditions ActuSF. Heureusement, ce livre peut très bien se lire indépendamment du reste, même s’il m’a donné envie de revenir aux origines des personnages. Je regrette tout de même que son appartenance à une saga ne soit précisée nul part sur l’ouvrage : ça déstabilise un peu, quand on ne connaît pas.
Jusqu’alors ignorée par la communauté des sorcières, Agnès est enfin invitée à rejoindre un convent. Mais ce convent, se rend-elle vite compte, n’est composée que de réprouvées comme elle. Pourquoi les avoir associées, alors ? En tout cas, lorsqu’elle se retrouve affublée d’un familier auquel elle est allergique et d’une épée magique capricieuse, Agnès se rend compte que tout ne tourne pas rond autour d’elle. Accompagnée de ses deux nouvelles sœurs de convent, de son vieil ami le vampire Navarre et du tas de personnalités aussi étranges que loufoques qui forment son entourage, Agnès fait face à un mystère qui lui est intimement lié sans qu’elle comprenne encore comment.
Inclusivité & girl power
Comme le laisse entendre le titre en écriture inclusive, Humain.e.s, trop humain.e.s diffuse un vrai message d’inclusivité. Mais plutôt que d’intégrer ça aux dialogues intérieurs de son héroïne, l’auteure fait le choix de le glisser dans des discussions entre personnages, mêlant points de vue qui font débats. L’intérêt de cette narration, c’est qu’alors l’inclusivité ne semble pas une évidence mais plutôt une lutte permanente. Comme dans Dans l’Ombre de Paris, on retrouve un panel de personnages très représentatifs des minorités (ethnies, genres, orientations…) mais qui ont besoin de hausser le ton pour se comprendre et se faire comprendre. L’égalité ne va pas de soi, ils cherchent à la conquérir et se retrouvent souvent à échouer dans cette revendication constante de droits plus que naturels.
À côté de ça, le roman affiche tout de même une grande majorité de personnages centraux féminins. On est alors tentés de parler de livre féministe puisqu’il inverse la sous-représentativité habituelle des héroïnes en littérature. Mais prônant plutôt un féminisme en recherche d’égalité des genres alors qu’ici, la prédominance féminine écrase clairement la représentation masculine, je parlerais plutôt de girl power. Autrement dit, un roman qui redonne du pouvoir aux femmes, les faisant sortir du rôle habituel de love interest du héros ou de personnage support qui ne va pas trop à la guerre. Ici, nul hésitation à se mettre à l’abri d’un homme ou non : les femmes ne sont pas traitées « comme des femmes » mais comme des personnages sans distinction, qui boivent, se battent, ont des qualités et des défauts. Un vrai plaisir à lire.
Magie & futur
Quand on lit Humain.e.s, trop humain.e.s, on ne sait trop où situer le livre en termes de genre littéraire. Jeanne-A. Debats inscrit tous les codes de la fantasy dite « classique » dans son roman (incluant sorcières, vampires, sirènes, gargouilles…), tout en projetant l’intrigue une quinzaine d’années dans le futur. On s’éloigne ainsi de la classique medieval fantasy à la Tolkien et consorts, pour plonger dans un roman que je qualifierais de « fantasy futuriste » (je suis sûre qu’il y a un terme technique plus adapté, mais j’avoue mon ignorance, l’urban ou la science fantasy ne correspondant pas à ce cas précis) où la magie se mêle à des évènements historiques qui n’ont pas encore eu lieu, à des technologies futuristes et à des monstres venus d’ailleurs.
On se retrouve donc dans une société futuriste mais de peu. Très proche de la nôtre finalement, l’auteure a accentué les traits de notre société actuelle pour en faire ressortir encore plus les incohérences internes. Inégalités et injustices sont encore plus marqués, tout en ressemblant fortement à ce que l’on peut déjà constater aujourd’hui. De même pour l’intolérance à laquelle nos héros sont régulièrement confrontés, et sur laquelle les personnages centraux ne sont même pas d’accord entre eux. Personnages d’ailleurs marqués par leurs différences, car dans cette société encore, la différence est synonyme de discrimination.
Le mot de la fin
Figure de la littérature de l’imaginaire française, Jeanne-A Debats s’illustre aussi bien en fantasy qu’en science-fiction avec Humain.e.s, trop humain.e.s et donne un nouveau souffle à ces genres par un récit drôle, impertinent et haletant à la fois. Même si la fin de l’intrigue m’a un peu laissée essoufflée (j’ai fini l’histoire sans trop d’enthousiasme, pour le dire autrement), qui fait la vraie force de ce roman selon moi, ce sont ses personnages décalés et volontiers railleurs dont les piques et réflexions font tout le piment de l’œuvre. Je prendrai plaisir à les retrouver via d’autres romans du cycle, c’est certain.