Dans l’ombre de Paris, Morgan Of Glencoe + Interview

     Envoyé par les éditions ActuSF dans le cadre du partenariat avec le blog, Dans l’Ombre de Paris de Morgan Of Glencoe est le premier tome de la saga La Dernière Geste, univers de fantasy uchronique où fées et princes/ses évoluent au milieu des caméras de surveillance et des armes à feu. La couverture aussi bien que le résumé m’avaient rendue très curieuse de découvrir cet univers atypique et je dois dire que j’ai été charmée dès les premiers chapitres. On découvre là un univers riche et engagé, sur lequel Morgan Of Glencoe a accepté de revenir en quelques questions.

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     Dans un présent alternatif, la monarchie est toujours en place, appuyée sur un système de castes qui réduit à l’état d’esclave/animal une partie de la population : les fées. Yuri, princesse du Japon, a été dans ces valeurs ancestrales, sans se rendre compte de la cruauté de cette société archaïque où les fées n’ont pas leur place, les populations meurent de faim et les femmes sont reléguées au rang d’objet. Mais une opportunité soudaine va lui donner la possibilité de réviser ses valeurs et d’aller à la rencontre d’un peuple vivant selon ses propres règles.

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Imaginaire & force de la parole

      Assez rapidement dans ce premier tome, Morgan Of Glencoe nous plonge dans un univers imaginaire assez foisonnant, où s’opposent humains et fées de plusieurs types : Aelings, Kelpies, Feux-follets… Si les termes peuvent déstabiliser les non-initiés de prime abord, ils sont présentés et développés de façon progressive de sorte à donner toutes les clefs de compréhension sans pour autant saturer le lecteur d’informations. L’univers est efficace, construit avec une logique et une rigueur qui permettent d’y prendre pied tout en douceur, sans s’y perdre et en prenant un plaisir réel à le découvrir. Un univers fantasy qui a tout d’un grand, plein de fougue et de liberté.

       Au milieu de cet univers, tout un jeu est créé autour du son, sous de nombreuses formes différentes. Le roman développe des personnages bardes, qui pratiquent une forme de magie de la musique, et accorde aussi de manière plus générale une grande importance à la parole dite aussi bien qu’au non-dit. Les mots ont un poids mais pas seulement : le son lui-même est porteur de sens, aussi bien que le silence. Thématique que j’avais déjà beaucoup appréciée dans Le Nom du Vent de Patrick Rothfuss, on la retrouve développée différemment ici : le silence n’est plus seulement mystère mais aussi déchiffrement. Apprendre à écouter quelqu’un, à se sentir en harmonie avec sans avoir besoin de parler et à agir plutôt que de dire sont autant de pas vers la compréhension de l’autre, du monde qui nous entoure, et par extension de soi-même.

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Questions sociétales & capacités d’adaptation

     Par ailleurs, ce roman profite également de son espace de réflexion pour aborder tout un tas de thématiques propres à notre société actuelle auxquelles on ne s’attendrait pas de prime abord : monarchie et égalité, esclavage et traitement des animaux, genres et sexualités pluriels, place de la femme et patriarcat, justice et peine de mort, notion de consentement et viol… Autant de prises de position assumées par Morgan Of Glencoe, qu’on y adhère ou non, mais qui nous font en tout cas nous poser la question sur notre société actuelle. Sans jamais enlever à l’intérêt de l’intrigue principale, ces thématiques sont soulevées au détour d’une scène, traitées avec l’intérêt qu’elles méritent sans ralentir le rythme de l’histoire pour autant et permettent au roman de démontrer sa dimension plus profonde qu’une simple histoire de princesse malheureuse. Un bel élan dans un genre dont on sous-estime bien trop souvent l’engagement ou l’intérêt autre que divertissant et la preuve renouvelée que la fantasy peut développer autant de thématiques cruciales que tout autre genre.

     Le roman confronte une héroïne aux valeurs opposées, élevée dans un cadre très conservateur, à un monde caché très libertaire. L’idée est efficace : confrontée à ses contradictions interne, la princesse voit ses valeurs évoluer et le lecteur suit ce cheminement de pensées par le point de vue interne, permettant une prise de conscience collective. Je crains cependant que le seul public qui adhère à cette prise de conscience soit celui, comme Morgan Of Glencoe, déjà convaincu par les valeurs portées par le roman car notre princesse détient une capacité d’adaptation de la princesse un peu trop rapide. Ce point est d’ailleurs soulevé régulièrement par les personnages, mais ne suffit à l’atténuer. En quelques semaines à peine, notre héroïne est capable d’abandonner près de 20 ans de valeurs inculquées de force, de remettre entièrement en question son éducation et sa vision du monde. J’aimerais que ce soit si simple mais ce cheminement, s’il peut se faire, demande des mois, voire des années. Je regrette ainsi une temporalité trop condensée du roman, qui ne laisse pas le temps aux personnages d’évoluer, qui réduit des procédés complexes à des choses « comme allant de soi ». Oui, pour toute personne convaincue, cela va de soi d’accepter l’autre comme il est. Mais pour une personnalité conservatrice comme celle de la princesse, cela demande un temps que le roman ne prend pas, alors que, sans rallonger la sauce pour autant, quelques ellipses plus marquées auraient constitué une temporalité plus cohérente et donné de la force à l’évolution de la pensée.

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Morgan of glencoe
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Interview-focus :
3 questions-clefs pour en savoir plus

Question : Dans l’Ombre de Paris semble fortement influencé par le folklore celtique mais aussi par la pluri-culturalité. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui vous a inspirée pour la création de cet univers, si riche et complexe ?

Morgan Of Glencoe : « Si je savais, je serais ravie de répondre (rires). Mais en vrai, j’en ai aucune idée. Probablement le fait que je suis très curieuse, et que j’adore voyager pour découvrir de nouvelles cultures et de nouveaux environnements. Et de nouvelles langues. J’adore apprendre des langues. C’est toute une façon de penser qui s’ouvre à chaque nouvelle langue, c’est fou, ça élargit tellement les perspectives ! Et puis j’aime l’idée que la fantasy, c’est découvrir des mondes, et les mondes, c’est pas mono-culturel. Et les tomes suivants de la saga vont encore nous faire découvrir d’autres pans culturels du monde de La Dernière Geste, je n’ai pas encore eu beaucoup de temps pour parler des ottomans, par exemple, mais c’est prévu ! »

Question : Vos personnages ont un rapport particulier à la parole et au chant. Doit-on y voir un écho à votre expérience de l’écriture et de barde ?

Morgan Of Glencoe : « Avant d’être autrice, je suis musicienne : harpeuse, chanteuse, compositrice, et barde. Autant dire que l’ouïe, c’est un sujet sensible… Mais plus que ça, je pense qu’il y a dans ce monde moderne un gros travail à faire pour réapprendre à écouter vraiment. Écouter les gens, les choses, le monde… Écouter le vent, les oiseaux et les vagues, écouter nos amis, nos grands-parents, nos compagnons. Écouter le silence. Je vois des gens qui ont peur du silence, parce qu’ils ne savent plus écouter. Peut-être que j’essaie de rendre les gens sensibles à la musique du monde, et à la préférer à un bruit de fond artificiel. Ou c’est juste que je vois le monde avec mes oreilles autant qu’avec mes yeux et que ça se ressent quand j’écris. En vrai, la plupart du temps, je fais les choses et après je me demande pourquoi je les ai faites (rires). »

Question : Vous mettez beaucoup l’accent sur des valeurs d’égalité, de respect et de tolérance dans ce roman (notamment grâce à des personnages féministes, homosexuels, agenrés..). Est-ce une réaction au monde qui vous entoure ? Un message que vous souhaitez faire passer ?

Morgan Of Glencoe : « D’abord, je ne crée pas des personnages homosexuels ou agenres ou handicapés pour faire de la représentation ou pour faire passer des messages. Je les crée comme ça parce que… ben parce que, en fait, pourquoi est-ce qu’ils devraient être autre chose que ce qu’ils sont ? Des gens comme eux existent un peu partout dans le monde. Je n’ai même pas vraiment l’impression de les « créer », d’ailleurs, en général ils s’imposent juste comme ça quand je pense à l’histoire. Avec leurs particularités. Souvent, ils ressemblent à des mélanges de plein de gens que je connais, et les gens que je connais sont variés, alors ça fait des personnages variés. Et il se trouve que dans la vraie vie comme dans l’univers de La Dernière Geste, les gens qui ont leurs « variations » s’en prennent pas mal dans les dents. Par ricochet, Dans l’ombre de Paris se retrouve à parler de choses qui se passent donc aussi dans notre monde.
C’est un peu bizarre à dire car tout le monde en parle dès qu’il y a chronique de Dans l’ombre de Paris : oui, il y a un message social fort dedans, mais non, ce n’est pas ‘l’unique but’ du roman, ni de la saga. Je voulais raconter une bonne histoire avant tout, et il se trouve que c’est l’histoire de gens qui vivent avec ce qu’ils sont dans le monde dans lequel ils sont. Et puis,  aussi… ce n’est pas un roman pour dénoncer. C’est un roman pour proposer. Et en particulier, proposer d’arrêter de croire qu’être cynique, désabusé et fataliste, c’est cool. C’est pas ‘cool’, c’est juste de la poudre aux yeux pour donner l’illusion de contester tout en respectant soigneusement le statu quo. Et le statu quo, que ce soit le nôtre ou celui de La Dernière Geste, il est délétère. Alors oui, forcément, ça fait écho. »

Merci beaucoup à Morgan Of Glencoe pour s’être prêtée au jeu des questions-réponses avec humour et gentillesse, ainsi qu’à Jérôme Vincent des éditions ActuSF pour avoir permis cet échange !

Ligne horizontaleLe mot de la fin

    Rythmé et plein de rebondissements, ce premier tome de Morgan Of Glencoe m’a tout simplement ravie. Sa plume est accrocheuse, l’histoire addictive et les thématiques soulevées diversifiées et actuelles. Dans l’Ombre de Paris est un pari réussi, mêlant grande épopée fantasy et réflexions sociétales d’une pertinence rare. Je suis rarement aussi enthousiaste devant les romans contemporains que j’ai l’occasion de présenter mais celui-ci fût une véritable bonne surprise que je recommande chaudement et dont je suis impatiente de lire la suite.

6 réflexions sur “Dans l’ombre de Paris, Morgan Of Glencoe + Interview

  1. Je suis plongée dans le roman et ta chronique ne me donne pas envie de le lâcher ! Bon je n’en avais pas envie de toute façon, même si je n’ai pas beaucoup de temps pour lire en ce moment et que j’avance lentement, je me régale ❤

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