Cadeau d’un ami grand fan de l’auteur, je me disais deux choses en commençant ce roman : 1 – mon ami n’a pas trop mauvais goût, c’est donc potentiellement un bon livre ; 2 – le livre est tout fin, au pire il sera vite lu. Dans un cas comme dans l’autre, j’étais en-dessous de la vérité. Ce petit livre m’a si bien scotchée que je l’ai dévoré en une journée à peine et que je devais me faire violence pour ne pas rédiger ma chronique au fur et à mesure de ma lecture, tant il m’inspirait de réflexions.
Écrit à la première personne, ce livre nous fait le récit du jeune Eddy Bellegueule, un gamin aux manières trop efféminées pour son entourage aux idées bien arrêtées sur l’image de la virilité que doit représenter un homme. Entre humiliations, tentatives pour s’intégrer et découverte de son corps, Eddy tente de survivre dans un milieu bien loin d’être adapté à ce qu’il ne peut s’empêcher d’être.
Catharsis & homophobie.
En finir avec Eddy Bellegueule est une autobiographie. On pourrait la penser fictive, tant ce nom de « Bellegueule », différent de celui de l’auteur sur la couverture, semble satirique. Et pourtant, il n’en est rien : Eddy Bellegueule est bien le patronyme de naissance de l’auteur, dont il a décidé de s’affranchir une fois pour toute en changeant de nom à l’âge adulte mais qui, ironiquement, continue à lui coller à la peau bien plus longtemps. Un nom qui lui colle à la gueule, peut-on dire, un nom dont il s’exorcise avec tout le reste de son histoire personnelle et familiale en balançant tous ses démons sur le papier. Ce livre, on le voit, on le sent, a un véritable effet cathartique sur son auteur, qui se détache de ce qu’il a été en le couchant sur le papier.
Édouard Louis fait étalage d’une vie marquée par l’homophobie, depuis la plus tendre enfance. Toujours, il a été assailli de ces mots violents, ces expressions blessantes qui ne sont pourtant même pas une insulte dans la tête de ceux qui les prononcent mais une vérité, absolue et incontestable. Selon eux, selon tout cet entourage auprès duquel il a grandi, l y a des normes pour être un homme et il faut les respecter, sous peine d’être rejeté. On a affaire à ce que j’appellerais « une violence anodine » ; à part quelques exceptions notables, les autres ne s’en prennent pas directement à Eddy et pourtant ils lui font du mal rien qu’en pensant (et en exprimant cette pensée devant lui) de leur façon. Par exemple, sa mère l’aime et ne l’agresse jamais mais lui fait le plus grand mal en craignant, sans jamais le dire, qu’il soit ce qu’il est.
Entourage & destructuration.
Au-delà de lui-même, c’est aussi tout son environnement d’enfance qu’Édouard Louis nous raconte. Parce que tout ce qu’il est, tout ce qui l’a construit découle directement ou indirectement de cet environnement, que ce soit en adéquation ou en réaction à cet environnement. Un environnement qui reproduit les mêmes modèles, inlassablement. Un environnement qui ne laisse que peu de chances de faire autre chose, qui s’agrippe aux gens et les imprègne jusqu’à tous les façonner à son image. Eddy est l’exception, celui qui parvient à fuir, tandis que tout son entourage va suivre le même chemin, répéter les mêmes actions de génération en génération. Ces gens sont figés dans une époque dépassée depuis longtemps mais qu’ils ne parviennent pas à dépasser.
Et pour refléter tout ça, on a un style d’écriture de l’auteur très particulier, qui se démarque de la prose classique. Il créé un mélange à l’image de son histoire, à mi-chemin entre le langage parlé soutenu et écrit familier. Des citations sont insérées tout au long du texte sans le moindre préambule. Il mélange ses mots soignés, symbole de ce qu’il est devenu, avec ceux qu’il a entendus toute son enfance, représentation de ce qu’il a vécu. Le style est volontairement déstructuré, il joue avec les règles de grammaire, les assouplit et semble parfois partir dans tous les sens mais, en réalité, il suit toujours une logique personnelle, un enchaînement d’idées clair qui nous rend le texte parfaitement intelligible et beaucoup plus intime, comme un fil de pensées qui se permet toutes sortes de digressions et d’indiscrétions pour mieux se dévoiler.
Je ne sais comment vous dire de lire En finir avec Eddy Bellegueule d’Édouard Louis. Le texte est court, il est prenant et il est marquant, symptomatique de toute une réalité qu’on ne perçoit pas forcément tant qu’on ne l’a pas vécue. Qui plus est, il a la force de mêler un intérêt aussi bien littéraire que sociétal.
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