Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates, de Shaffer & Barrows

       Grâce à Madonie, j’ai récemment eu la chance d’ajouter Le Cercle Littéraire des amateurs d’épluchures de patates de Mary Ann Shaffer et Annie Barrows, livre qui me faisait de l’œil depuis un bon moment. C’est finalement sur vos conseils, chers lecteurs, que je me suis décidée à le lire aussitôt et, surprise : vous êtes de bon conseil ! Qui l’eût cru ? Habituellement peu fan du genre épistolaire, je dois pourtant avouer que le format était, là, juste parfait et m’a fait enchaîner les lettres à un rythme effréné – presque compulsif ! – jusqu’à la fin.

     Comme souvent, je me suis lancée dans cette lecture sans vraiment me renseigner davantage sur son thème, me laissant guider par la simple envie, j’ai donc été bien surprise de découvrir que, derrière ce titre humoristique, se cachait un roman parlant de la Seconde Guerre Mondiale. Plus précisément, juste après la fin de celle-ci, alors que la population tente de se reconstruire malgré les cicatrices encore bien présentes. Et c’est à travers une série de lettres adressées à une jeune écrivaine pleine de vitalité que nous découvrons comment un cercle littéraire a permis aux habitants de Guernesey de traverser cette terrible épreuve qu’était l’occupation nazie.

Ligne horizontale         Guerre & légèreté.

      D’emblée, on comprend que le sujet traité par le roman est très fort. On découvre immédiatement la vie d’une jeune écrivaine, Juliet, dont la carrière s’est construite sur une fiction de guerre humoristique. Pourtant, à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale, Juliet cherche à quitter enfin ce sujet d’écriture pour prendre un nouveau départ mais ceci semble impossible. Dans l’écriture comme dans la vie quotidienne, la guerre est encore présente partout. C’est donc de façon assez inhabituelle que la guerre est abordée dans ce roman épistolaire. Juliet reçoit une série de lettres de la part des membres de ce fameux cercle littéraire basé à Guernesey, dont les auteurs vont raconter leurs souvenirs de l’Occupation allemande. Loin des récits au for pathos, ce sont de petites anecdotes que les personnages vont raconter et qui vont nous apprendre comment cette période a été véritablement vécue. On quitte la dichotomie habituelle entre gentils habitants et méchants nazis pour découvrir des habitants qui ont appris à vivre avec les soldats et ont même, parfois, découverts des vertus insoupçonnées.

      Et malgré ce sujet fort, le roman parvient à ne jamais tomber dans l’auto-apitoiement. Pourtant, les auteures ne s’imposent pas de censure et parlent de morts, de séparations, de camps de concentration… Mais c’est fait de manière subtile, qui nous émeut sans pour autant nous faire oublier l’espoir qu’apporte encore l’avenir. Car l’avenir est bien la clef centrale de ce livre dont l’intrigue est entièrement tourné vers le futur, le futur d’une population qui se reconstruit lentement mais refuse de se laisser emprisonner par le passé. Cet effet est surtout créé par le style très agréable des deux auteures qui parviennent à créer une héroïne pleine de vie, au caractère envolé et capable d’apporter une touche de fraîcheur et d’humour à ce récit qui aurait pu être beaucoup plus lourd sans cette plume particulière.

Ligne horizontale        Littérature & fiction.

     Étant donné que nous sommes plongés dans un roman qui nous parle d’une écrivaine en pleine quête d’inspiration pour l’écriture de son prochain livre à travers un club de lecture, nous pouvons sans peine parler de méta-littérature. C’est-à-dire que le livre use d’une mise en abyme pour parler de lui-même, indirectement. Shaffer et Barrows nous présentent ainsi, d’une certaine façon, ce qui semble être leur propre vision d’un auteur prolifique et d’une littérature utile. À travers le cercle littéraire de Guernesey, on découvre toute une galerie de lecteurs aux profils très différents. Certains aiment lire, d’autres non. Certains se limitent à certains genres, certains auteurs. Certains préfèrent la fiction, d’autres la philosophie. Certains préfèrent leurs propres écrits. Mais peu importe leur éclectisme en question de lecture : ils sont tous accueillis avec un regard extrêmement bienveillant. De fait, ce roman nous rappelle qu’il y a autant de types de lecteurs qu’il y a de personnes qui ouvrent ne serait-ce qu’un seul livre dans leur vie. Chacun développe une relation personnelle à la lecture, y cherche et y trouve ce dont il a besoin mais c’est une passion qui les réunit tous. Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates est un roman qui nous rappelle avant tout à quel point la littérature est la meilleure arme pour aider à l’ouverture d’esprit.

      Cependant, cet aspect méta-littéraire ne se fait pas au détriment de la fiction. Bien au contraire, les auteures s’amusent à rajouter de la fiction par-dessus la fiction en multipliant les récits des habitants mais également en suivant la romance de Juliet. Cette touche de romance apporte une légèreté supplémentaire au roman, qui se fait ainsi plus vivant et optimiste. On peut également y voir un double niveau de lecture : cette fiction dans la fiction permet à la fois d’instaurer une certaine distance avec les évènements durs que l’on suit de loin et de rajouter un seuil supplémentaire d’empathie pour les habitants de Guernesey car ce personnage de Juliet est particulièrement vecteur d’identification. Comme le lecteur, elle découvre d’un oeil neuf ce qu’il s’est passé sur cette île, porte un regard similaire au nôtre, extérieur mais concerné, et s’attache aux autres personnages en même temps que nous.

     Lecture aussi prenante que surprenante, Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates offre une galerie de personnages attachants afin de nous faire découvrir la guerre sous un point de vue différent et profondément humain. Un must à lire !

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12 réflexions sur “Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates, de Shaffer & Barrows

    • J’aime beaucoup cette différence de point de vue sur la guerre : on n’est ni dans le témoignage du front, ni dans la description distante mais dans un quotidien entre-deux dont on entend assez peu parler, je trouve^^

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