Je ne vous cacherai pas que, étant donné la période, cette lecture est totalement hors thème : un conte de Noël, même aussi déjanté que celui des Annales du Disque-Monde, aurait sans doute plus sa place en une froide soirée d’hiver que par une belle journée ensoleillée. Mais tant pis. Vous commencez à me connaître : jamais longtemps sans mon Pratchett ! Et cela faisait trop longtemps que je n’avais pas avancé dans cette saga dantesque pour résister bien longtemps, me voici donc repartie avec le vingtième tome écrit par Sir Terry Pratchett, Le Père Porcher.
Le Père Porcher, ce vieux bonhomme bedonnant en costume rouge et barbe blanche qui apporte des cadeaux aux enfants sages la Nuit du Porcher, a disparu. Plus exactement, il est mort. Pourtant, la tradition doit continuer ! C’est donc le seul être vivant au courant de son absence qui décide de le remplacer pour perpétuer la tradition : la Mort. Mais il – parce que la Mort est de sexe masculin – n’est peut-être pas le mieux indiqué pour apporter la joie et l’espoir dans les foyers, tout compte fait.
Croyance & générosité.
Ce n’est pas nouveau dans le Disque-Monde : la foi est une force de création bien réelle. Parce que les gens croient en quelque chose, cela lui donne la possibilité d’exister. Hors, que se passe-t-il lorsque quelque chose auquel des millions de personnes croyaient plus ou moins disparaît ? Eh bien, toute cette foi doit bien trouver de nouveaux foyers dans lesquels se réfugier. Ainsi peuvent prendre vie plein de petite croyances mineures : l’oh-bon-dieu des gueules de bois, la fée Bonne Humeur, le monstre voleur de chaussettes ou mangeur de crayons… C’est assez amusant de voir comme Pratchett arrive ainsi à jongler entre innocence et critique. D’un côté, cette idée que notre foi est source de subsistance de ces créations imaginaires est touchante et assez courante dans les téléfilms de Noël lambdas ; d’un autre côté, le récit nous rappelle toute l’ambiguïté qu’il peut y avoir à mettre de telles idées dans la tête des enfants pour mieux les extirper en grandissant mais aussi le cynisme qui sommeille en chacun, prêt à croire dès qu’il y voit une opportunité d’y gagner quelque chose puisque, de toute façon, il n’a rien à y perdre.
Par ailleurs, les fêtes de Noël riment aussi avec générosité – bon, ok, pas textuellement, mais vous avez compris l’idée – et Pratchett accorde une grande par à cette tradition dans son histoire. Entre beauté du geste et rappel de son hypocrisie, Pratchette n’oublie jamais sa joyeuse satyre. Il met en exergue à quel point il plus facile mais souvent bien moins significatif d’être généreux une fois par an lorsqu’on en a plus que les moyens et à quel point il est plus simple de rendre quelqu’un heureux en prenant en compte ses désirs plutôt qu’en plaquant sur sa pauvre vie une envolée charitable aussi soudaine que déplacée. Le message du roman n’est pas textuel sur cette question mais il laisse facilement entre la distinction entre une sorte de « bonne » et de « mauvaise » charité. Entre celle qui prend réellement en compte celui qui est dans le besoin et celle qui ne sert qu’à lustrer son propre égo.
En bref :
Ce nouveau tome du cycle de la Mort (romans des Annales du Disque-Monde mettant la Mort en scène comme personnage principal) ne déçoit pas et permet même à l’auteur d’affiner un peu le point de vue très particulier que ce personnage tout aussi particulier porte sur le monde. Entre innocence naïve et cynisme profond, Le Père Porcher nous renvoie aux longues nuits de Noël de notre enfance à guetter les clochettes du traîneau mais aussi celles à attendre sagement la pièce sous l’oreiller de la petite souris – ou de la fée des dents, culture britannique oblige ! – ou à craindre l’affreux croque-mitaine caché sous le lit. Et le tout, comme toujours, enrobé d’une bonne couche d’humour qui ne faillit jamais.