La Leçon, d’Eugène Ionesco

       Après avoir lu et peu apprécié Le Roi se meurt dans le cadre de mes études, j’étais restée sur un sentiment négatif quand aux pièces de Ionesco et n’avais jamais retenté ma chance. Pourtant, après avoir vu Ibidouu citer Rhinocéros parmi les livres l’ayant marquée à l’école, j’ai décidé qu’il serait dommage de condamner l’auteur pour si peu – après tout, si j’ai redonné une seconde chance à Balzac, Ionesco y a bien droit aussi ! – et me suis lancée dans une pièce très courte qui traînait chez moi depuis un moment : La Leçon.

      Une jeune étudiante se présente chez un vieux professeur pour y prendre un cours particulier. Mais le professeur semble cacher quelques secrets et la leçon prend très vite un tour étrange ; loin d’étancher la soif d’apprendre de la jeune fille, celui-ci semble au contraire la vider de toute substance.

Ligne horizontale        Absurde & symbolisme.

       Si les débuts de la leçon prennent l’apparence de la banalité, c’est pour ensuite mieux faire ressortir l’absurde de la situation. En effet, la corrélation entre le niveau d’études de l’élève et le peu de savoirs qu’elle possède révèle vite à quel point cette leçon va être ridicule mais pas autant que l’entrain factice dont fait preuve le professeur face à son élève. Plutôt que de reconnaître le véritable niveau de son élève, celui-ci la flatte sans jamais lui faire remarquer ses faiblesses. Cela donne une impression d’irréalité au lecteur qui découvre une scène ridicule qui prête au rire autant qu’il décrédibilise ces deux personnages aux apparences si sérieuses et aux conversations pourtant si vaines. On assiste, par exemple, à de prétendues traductions, qui semblent complexes pour l’élève et qui, pourtant, sont toujours les mêmes mot à mot, quelle que soit la langue soi-disant employée.

       Cette leçon révèle alors très vite toute sa dimension symbolique. Tout objet utilisé par le professeur est décrit par les didascalies comme étant invisible ; en somme, rien de ce qui arrive sur scène lors de cette leçon particulière n’a de substance réelle. La leçon n’est que la représentation des idées que veut véhiculer Ionesco à travers elle. Par exemple – attention, spoiler -, le couteau dont se sert le professeur pour tuer son élève est invisible pour symboliser le fait que l’élève ne meurt pas tant sous les coups physiques du professeur que sous ses assauts psychologiques, son acharnement à lui enfoncer des savoirs dans le crâne comme il lui enfonce le couteau dans la poitrine. Dès lors, le côté surréaliste des personnages se comprend très bien puisque chacun est poussé à l’extrême pour représenter une certaine idée : la fougue de la jeunesse en soif d’apprendre au cerveau encore malléable face à la rigidité de la vieille école incapable de s’adapter aux besoins de son temps.

Ligne horizontale        Éducation & itération.

        C’est finalement tout le système éducatif tel qu’on le connaît qui est remis en cause, un système dans lequel le professeur impose sa méthodologie à l’élève, lui fait rentrer des idées de force dans la tête sans jamais s’adapter réellement aux besoins de ce dernier. Un système éducatif profondément inégalitaire dans lequel le professeur se fait chantre du savoir sans prendre la peine de jauger les forces et faiblesses de son élève, calquant sa façon de faire à chaque nouvel élève sans jamais se remettre en question, comme l’indique très bien la suggestion d’itération du dénouement de la pièce. Au lieu de tenter de combler le fossé de connaissances qui les sépare en se mettant à la hauteur de son élève, le professeur s’obstine à accuser l’élève de ses erreurs sans cherche un moyen de les corriger.

       Le plus terrible dans cette pièce étant finalement la fin qui annonce un éternel recommencement. En effet – attention, nouveau spoiler -, l’arrivée de la bonne après le meurtre de l’élève nous apprend que cette situation est loin d’être exceptionnel : pour elle, c’est entré dans son quotidien puisque c’est même la quarantième fois de la journée – on notera le chiffre extravagant qui appuie encore sur l’absurde de la pièce – que ça arrive et une autre élève se présente déjà à la porte du professeur, reçue exactement de la même façon que la précédente. La suggestion d’une répétition incessante de la même scène concrétise l’horreur de ce que nous venons de voir puisque rien n’est amené à évoluer, le professeur n’apprend pas de ses erreurs et les leçons s’enchaînent sans jamais changer. L’histoire est figée entre passé et présent sans apporter d’espoir pour l’avenir.

      Je dois l’admettre : même si je ne ferai jamais partie des fans assidus de Ionesco, cette lecture m’aura tout de même réconciliée avec l’auteur. Le format plus condensé évite de se perdre dans de trop nombreux symboles, permet de recentrer l’histoire sur son idée principale et véhicule un message qui me parle tout particulièrement. La Leçon m’a même donné l’envie de lire La Cantatrice chauve à l’occasion mais, bien sûr, « ceci est une autre histoire, qui sera contée une autre fois ».

5 réflexions sur “La Leçon, d’Eugène Ionesco

  1. J’avais beaucoup apprécié La cantatrice chauve, le mouvement de l’absurde me fascine grandement et j’ai en favoris Beckett avec Fin de Partie. Du coup j’ai bien envie de découvrir La leçon, tu donnes les éléments qui m’animent pour le lire en tout cas !

    J’aime

  2. Un grand souvenir pour moi de l’école, La leçon et La cantatrice chauve ! J’avais adoré les lire et ensuite, les voir au théâtre de La Huchette à Saint-Michel à Paris où elles sont en représentation constante 🙂
    Bel article !

    Aimé par 1 personne

    • J’avais trouvé ça incroyable ! Mais j’y suis allé il y a une bonne dizaine d’années 🙂 ça ne doit plus être la même équipe. En tout cas, n’hésites pas je suis sure que tu vas te régaler 🙂

      J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s