Le Portrait de Dorian Gray, d’Oscar Wilde

    Grand classique de la littérature, Le Portrait de Dorian Gray fait également partie de mes romans favoris. Or, si je vous avais déjà parlé de certaines nouvelles d’Oscar Wilde – Le Fantôme de Canterville et Le Crime de Lord Arthur Savile, notamment –  je ne vous avais jamais parlé de son roman le plus retenu par la postérité. Un roman pourtant sauvagement ancré dans l’actualité malgré son gros siècle d’écart avec notre époque tant l’auteur a su aborder avec brio des thèmes intemporels qui parlent à tous.

    Dorian est un jeune homme d’une beauté saisissante. Tellement saisissante que, lorsque le peintre Basil Hallward fait son portrait, Dorian devient jaloux de son propre visage et fait le vœu que cette peinture vieillisse à sa place. Tombé amoureux de Sibyl Vane, une actrice talentueuse, Dorian s’aperçoit que leur relation ôte toute profondeur au jeu de la jeune femme. Il la quitte alors brutalement, provoquant son suicide, mais n’en éprouve pas de remords : son souhait a été exaucé mais, en échange de sa jeunesse conservée, Dorian perd la fraîcheur de son âme.

Ligne horizontale      Vanité & décadence.

     Thème intemporel par excellence, d’autant plus pertinent dans notre société actuelle, c’est la vanité qui est au cœur de ce roman car elle est le point de départ de toute son intrigue. Si Dorian avait vécu à notre époque – et ne me dites pas que c’est impossible, ce prénom redevient très à la mode ! -, il aurait passé son temps à faire des selfies. Au lieu de cela, il suit son histoire au XIXe siècle et c’est son portrait qu’on peignit. Flatté par la beauté du portrait et par les compliments du peintre, Dorian succombe alors à la vanité et, tel le corbeau de La fontaine, y laisse des plumes. Dorian est l’instrument de sa propre perte : ce sont ses défauts qui l’entraînent vers sa fin alors même qu’il avait tout pour être heureux. Sa grande beauté aurait pu être un atout incroyable pour sa vie, au lieu de quoi il en fait lui-même le plus grand des dangers. Bien plus intéressé par les apparences que par la réalité, le jeune homme néglige son âme au profit de son corps.

       Cela participe à une certaine forme de décadence du personnage, incapable de se contenter de ce qu’il a pour toujours en vouloir plus. Posséder cette belle jeunesse de façon temporaire lui semblait inconcevable, voilà pourquoi il l’a voulue pour toujours. C’est cette obsession qui l’entraîne dans sa propre déchéance, son âme se délitant d’autant plus que le portrait s’enlaidit à sa place. Le roman s’inscrit ainsi dans la mouvance du décadentisme, dans lequel le personnage se doit de connaître une crise : Dorian ne devient plus que l’ombre de lui-même, tel un mort en sursis qui ne survit qu’à travers son image. Le personnage, de nature provocatrice, est ainsi teinté d’un certain désespoir et d’une décadence qui deviennent d’autant plus pathétique au fil de l’histoire qu’il est de plus en plus dépossédé de toute humanité.

Ligne horizontale      Art & cynisme.

     L’art prend une place très importante au cœur du roman puisqu’il est l’expression ultime de la beauté, entre le portrait de Dorian qui lui apparaît plus beau que l’original puisqu’il ne s’altérera jamais et les pièces de théâtre de Sibyl qui représentent un absolu de perfection. La mort même de Sibyl est perçue par Dorian comme le dénouement d’une tragédie grecque : l’actrice est sublimée par son art, au-delà de tout ce qu’elle aurait pu espérer atteindre sans lui. L’art est ce qui exalte les personnages, leur permet d’atteindre un niveau supérieur d’excellence jusqu’alors inaccessible. Mais l’art est également le moyen de perdurer dans le temps, d’atteindre la postérité : si Sibyl sera oubliée, les œuvres qu’elles jouait se transmettront bien après sa mort et, bien sûr, le portrait de Dorian, éternellement beau et jeune, est ce qui devrait traverser les siècles à sa place pour que jamais son image ne disparaisse. Au lieu de cela, le vœu de Dorian chamboule tout et, refusant de se laisser subjuguer par l’art, le jeune homme renonce à tout espoir de s’illustrer dans la postérité en préférant se substituer au tableau sans se rendre compte de sa propre nature éphémère.

       Cette approche de l’art participe aussi au cynisme de l’œuvre, qui présente un Homme perpétuellement insatisfait, incapable d’aimer ce qui peut faire son bonheur et courant plutôt vers ce qui fait son malheur. Le Portrait de Dorian Gray ne semble laisser aucun espoir à l’humanité, offerte à tous ses vices et destinée à dépérir jusqu’à ce qu’ils finissent par les rongent totalement. La vision de l’auteur sur l’humanité et sur le monde qui l’entoure semblent profondément pessimiste, sans aucune possibilité de rachat. Un cynisme renforcé par l’ironie que l’on sent parfois poindre dans le texte et par l’anti-conformisme de l’auteur qui abandonne la fin heureuse conditionnée des histoires habituelles pour façonner une satyre de la société qui ne propose pas de solution, seulement une amère constatation.

       Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde fait donc partie de ces classiques non seulement incontournables mais qu’on prend aussi un réel plaisir à lire, grâce à l’actualité de ses thèmes, la force de son message et le brio de son intrigue qui ne perd rien de son impact avec le temps.

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7 réflexions sur “Le Portrait de Dorian Gray, d’Oscar Wilde

  1. Magnifique chronique pour un de mes romans favoris et mon auteur préféré, tu m’as donné envie de le relire pour la 10e fois au moins XD j’ai beaucoup aimé ton parallèle avec la société actuelle!

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  2. Il faut absolument que je relise ce livre, j’avais adoré la première fois que je l’ai lu mais je n’avais pas assez de connaissances pour apprécier le texte à sa juste valeur, maintenant il faut que je me rachète le livre car je ne l’ai plus TT

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