Maus, d’Art Spiegelman

       Vous en avoir rapidement parlé dans mon « 8 idées » consacré m’a fait réaliser tout ce que je pouvais avoir à en dire. Il est donc temps d’aborder le sujet de cette bande dessinée pas comme les autres qu’est Maus d’Art Spiegelman.

      Vladek raconte à son fils, dessinateur de bandes dessinées, ses jeunes années durant lesquelles a eu lieu la montée du nazisme. Entre veille assidue, fuite éperdue et capture inévitable, Vladek nous fait ainsi revivre son histoire et, à travers lui, l’histoire de milliers de familles juives encore moins chanceuses que la sienne.

Ligne horizontale      Horreur & esthétique.

      Dans son récit, Art Spiegelman fait le choix de ne rien censurer : il raconte l’Histoire telle qu’elle s’est déroulée, n’omettant aucune des horreurs qui constituent cette triste réalité. Il n’est pas question de gommer certaines horreurs, de diaboliser gratuitement les antagonistes ou de faire paraître les protagonistes comme entièrement parfait mais seulement de rendre compte de ce qu’il s’est passé du point de vue d’une personne l’ayant directement vécu. Cela donne ainsi lieu à des scènes très fortes en émotions, choquantes par leur violence mais nécessaire pour rendre compte de l’atmosphère régnant dans les camps. Piles de cadavres nues et corps amaigris par la famine sont montrés sans scrupules mais sans jamais appuyer excessivement sur la touche macabre. L’horreur passe finalement presque autant par le non-dit – l’absence soudaine de certaines personnes, les scènes se déroulant hors cadre, les menaces suggérées par des bruit ou des ombres, etc. – que par ce qui est montré. Au-delà de la torture physique, la torture psychologique vient aussi s’ajouter au tableau pour constituer une ambiance plus que pesante qui reflète bien l’état d’esprit de nos protagonistes.

      Pourtant, le bédéiste fait ici des choix audacieux en transformant son récit par une esthétique particulière. Maus met en scène de personnages animalisés et est entièrement fait en noir et blanc. Ces deux choix sont, selon moi, directement liés à la violence des évènements rapportés. En effet, le choix du noir et blanc permet d’estomper l’effet choquant que pourraient avoir certains dessins si l’on y représentait le rouge du sang ou la pâleur de la mort. De même, le choix de l’animalisation accorde une certaine distanciation au lecteur qui, bien que conscient que le récit reflète des évènements réels, ne s’identifie pas directement à ces souris apeurées par de gros chats mais conserve cependant une forte possibilité d’empathie.

Ligne horizontale      Volonté & séquelles.

     Généralement, ce genre de récits a une forte tendance à tomber dans le pathos assez facile, ce qu’il est compliqué de leur reprocher étant donné l’horreur de ce qui est y raconté mais qui, du coup, donne des histoires toutes basées sur le même moule. Dans Maus, la grande différence est justement que le narrateur ne s’apitoie jamais sur son sort mais fait, au contraire, preuve d’une grande volonté qui ne défaillit. Il veut s’en sortir, il va s’en sortir – sinon, il ne serait pas là pour nous le raconter – et il ne le doit qu’à lui-même car il n’a jamais abandonné, s’est toujours battu pour son droit à vivre – et a bien sûr également bénéficié d’une certaine dose de chance, si l’on peut dire cela ainsi, car tous ceux qui en avaient la volonté ne s’en sont pas forcément sortis pour autant. Ainsi, ce récit s’épargne tout pathos pour plutôt s’axer sur le récit d’une lutte continuelle, un mince espoir de s’en sortir coûte que coûte.

      L’horreur de ce qu’a vécu Vladek pendant cette guerre ressort d’autant plus fortement qu’elle n’est pas dite : elle est montrée. Outre le format de la bande dessinée qui permet de mettre des images sur ce qui ne peut être dit, le décalage temporel, qui nous montre Vladek âgé raconter son histoire à son fils, auteur de bandes dessinées, joue un rôle très important. En effet, ce décalage permet non seulement de réactualiser l’Histoire en démontrant ses effets encore actifs sur le présent. On voit dans le comportement de Vladek qu’il garde encore de très fortes séquelles de son passé dans les camps – dont une tendance maladive à tout économiser, alors même que ce n’est pas nécessaire, suite au manque de l’essentiel qu’il a autrefois connu – et qui ne s’expliquent qu’à travers son histoire. De même, au fil de son récit, son fils comprend de mieux en mieux le comportement de son père et commence ainsi à être touché par toutes ces manies qu’il ne comprenaient pas et qui ont pourtant fortement affecté sa vie. Lui-même subit encore des séquelles d’une guerre qui s’est achevée avant sa naissance. Art Spiegelman met en exergue les conséquences d’une guerre qui ne semble pas nous concerner et qui, pourtant, nous touche encore.

       Voilà pour cette formidable bande dessinée, que je vous recommande une nouvelle fois. Maus sait parler de thèmes forts, certes déjà souvent abordés, mais avec un point de vue différent sur l’Histoire et une esthétique parfaitement au service du récit.

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3 réflexions sur “Maus, d’Art Spiegelman

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