Dracula, de Bram Stocker

    Aujourd’hui, chers lecteurs, je vous propose de parler un peu, après Frankenstein de Mary Schelley, d’un nouveau pilier du roman gothique : Dracula de Bram Stoker que je me suis enfin décidée à lire – plus qu’à voir le film, maintenant ! – après moult conseils en ce sens. Je dois admettre que ce petit pavé m’a tout d’abord un peu découragée car la première centaine de pages a été, pour moi, très laborieuse à lire et j’ai crains de ne pas le finir si tout le roman ressemblait à cela. Cependant, passé ce moment éprouvant uniquement basé sur le journal d’un seul des protagonistes, la narration se fait ensuite par une accumulation de différentes correspondances ou différents journaux personnels et devient ainsi beaucoup plus vivante – un brin ironique pour un livre sur les « non-morts », non ? -, moins harassante, ce qui m’a permis de beaucoup plus apprécier la suite du livre.

     L’histoire, je dois l’admettre, est très éloignée de ce à quoi je m’attendais. Le mot « vampire » lui-même est loin d’être omniprésent, n’apparaissant qu’après plus de 360pages d’histoire – sur 600pages dans mon édition, donc après plus de la moitié du roman – et cela m’a plutôt surprise, l’auteur jouant longtemps sur le principe de l’incertitude. Le roman épistolaire – comme c’était en vogue à cette période – démarre par le journal de Jonathan Harker, un notaire étant venu officier dans le château du comte Dracula, habitant au fin fond de la Transylvanie mais planifiant de déménager en Angleterre. Cependant, Jonathan s’aperçoit bien vite des habitudes étranges de son hôte et craint sa disparition proche. Le roman saute ensuite à la correspondance de Mina Murray, la fiancée de Jonathan, avec sa meilleure amie, Lucy Westenra, qui est prise de soudaines crises de somnambulisme dont elle se réveille très affaiblie et avec d’étranges blessures au cou.

Ligne horizontale      Science & égoïsme.

   Tranchant avec une histoire clairement versée dans le fantastique, on retrouve étonnement une très grande présence de la science dans le roman de Bram Stoker. En effet, deux des protagonistes sont docteur et mettent leur science au service de la lutte contre Dracula mais on apprend également que lui-même, avant d’être damné, était un homme de sciences – un alchimiste, pour être exact, mais c’est ce qu’il y avait de plus approchant à son époque. Ainsi, la science est bien omniprésente et tous les évènements auxquels on assiste passent d’abord par ce filtre. Des évènements surnaturels et bien peu probables sont donc acceptés par des hommes de science, ce qui incite ainsi le lecteur le plus sceptique à y croire à son tour puisqu’ils sont démontrés comme étant possibles par la science et non seulement expliqués par la magie sans fondement réel. Cela apporte donc une touche plus réaliste à cette œuvre de fiction et laisse supposer la possibilité d’une telle engeance.

     Cependant, l’égoïsme dont il fait preuve distingue inévitablement le comte Dracula de ses poursuivants. En effet, si celui-ci a accumulé de nombreux savoirs durant sa longue existence, il n’en fait usage que dans le but d’améliorer sa propre condition tandis que les protagonistes font preuve d’un altruisme à toute épreuve et mettent leurs connaissances au service de l’humanité, tous sans exception sont prêts à se sacrifier pour le bien commun. Dracula est donc le seul qui ramène toujours tout à lui quand les autres se battent pour le bien de ceux qui les entourent et on peut, bien sûr, y voir la distinction fondamentale entre le « non-mort » – c’est ainsi que sont nommés les vampires à de nombreuses reprises – et les vivants ; le partage et l’altruisme apparaissent ainsi comme des qualités fondamentales et constitutives de l’humanité.

Ligne horizontale     Folie & sauvegarde.

     Le docteur Seward étant le directeur d’un hôpital psychiatrique situé juste à côté de la demeure qu’achète le comte Dracula en Angleterre, la folie devient vite un thème très récurrent du roman. En effet, l’un des patients de l’hôpital, nommé Renfield, développe une véritable adoration pour Dracula et son comportement à cet égard est analysé à de nombreuses reprises dans le journal du Dr Seward. Les questions qui se posent alors à propos du patient, se posent également, indirectement, à propos de Dracula lui-même. En effet, dans sa folie, Renfield attire des insectes pour les manger mais, plus encore, il se sert des insectes qu’il attire pour en appâter de plus gros qu’il mangera à leur tour avec une idée somme toute assez simple : en mangeant l’animal ayant dévoré les insectes précédents, il mange la somme accumulée de toutes les vies absorbées par l’animal. Or, Renfield cherche à absorber le plus de vies possibles afin de prolonger sa longévité. Admettez que le parallèle avec Dracula devient dès lors très simple à faire. Avec Renfield qui semble bloqué dans un cercle vicieux avec cette tentative sans cesse réitérée d’ingérer le plus grand nombre de vies, on s’interroge sur les motivations du comte et son éventuel éternel recommencement.

      Enfin, face à cette boucle infinie, nos héros sont plutôt placés sous le signe de la sauvegarde. Au-delà de leurs propres vies, toute une partie des débats tournent autour de la façon dont ils conservent tous leurs écrits et les organisent afin qu’ils soient simples à lire et à transmettre : ils font ainsi un véritable devoir de mémoire pour continuer à lutter contre le fléau que représentent les non-vivants même après leur propre disparition éventuelle. On s’aperçoit alors que notre petite troupe de protagoniste est tournée vers l’avenir, vers les générations futures, vers l’humanité toute entière, dans la même lignée que leur grand altruisme, tandis que le comte, toujours renfermé sur lui-même, ne se soucie que de sa propre sauvegarde, quelle que soit la destruction qu’il doive semer autour de lui pour parvenir à ses fins.

    Voilà donc mon avis sur Dracula de Bram Stoker, j’espère qu’il encouragera certains à passer les premières pages difficiles de ce petit monument de la littérature de l’imaginaire. Vos avis sont, comme toujours, les bienvenus en commentaire et nous nous retrouvons bientôt pour un nouvel article, même si, vous le savez bien désormais, « cela est une autre histoire, qui sera contée une autre fois ».

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20 réflexions sur “Dracula, de Bram Stocker

    • Je suis d’accord, c’est un défi à lire par certains moments ; j’ai eu la chance d’être emportée par l’histoire après une centaine de pages mais je crois que si ça m’était resté aussi difficile qu’au début, je n’aurais pas tenu jusqu’au bout !

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    • Oui, il me semble que c’est ce qui fait la force de ce roman : ce doit être l’un des premiers vampires à avoir une personnalité avec un peu de profondeur !

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  1. Merci pour cette critique complète. Ce livre est une grosse lacune dans mon parcours de lecteur : je dois le lire d’urgence…
    Concernant l’argumentation scientifique du vampirisme, Dan Simmons avait également exploré cet aspect dans son « Les fils des ténèbres », un siècle après Stocker.

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  2. J’ai beaucoup aimé tes pistes de réflexions sur ce roman. C’est vrai qu’au début, il est plutôt difficile de rentrer dedans, mais une fois que c’est fait, on se laisse porter par l’histoire et on comprend pourquoi ce livre est devenu un classique ainsi qu’une inspiration pour d’autres auteurs.
    Pour en revenir à ton analyse, c’est très bien vu de se pencher sur l’égoïsme du Comte. Je n’y avais pas vraiment réfléchi, mais à te lire je repense à ce personnage et effectivement, c’est un point très important.

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  3. Il y a quelques années j’avais commencé Dracula, mais j’ai abandonné en cours de route (ce que je fais presque jamais). J’ai jamais dépassé les 100 pages. Mais vu ton article et l’annonce que ça s’améliore après je pense retenter ma chance ^^

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    • Le style reste marqué assez ancien, je ne te le cacherai pas, mais il y a quand même une nette amélioration une fois que l’on dépasse les premiers chapitres avec ce pauvre Jonathan paumé tout seul au fond de son château^^’

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  4. Pour ce roman, même s’il est culte, ce qui me rebute c’est justement ce style épistolaire. Je l’ai en livre papier et en audio mais pour le moment j’ai pas sauté le pas ^^

    J’ai lu la « suite » il y a quelques années : Dracula l’Immortel, écrit par l’arrière petit-neveu du barbu irlandais. J’ai bien aimé. J’ai vu l’adaptation de Dracula par Coppola aussi. Excellent film.

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    • Je n’aime généralement pas l’épistolaire non plus mais la construction de celui-ci est vraiment différente. Il y a finalement assez peu de lettres, à part au début, mais plutôt des extraits de journaux, comme si l’on réunissait tous les fragments d’une même histoire. Le tout donne un ensemble très bien rythmé et casse la monotonie des premiers chapitres qui, je dois l’avouer, sont assez durs à passer ! Be brave 😉
      Pour ce qui est de Dracula l’Immortel, je l’ai dans ma PAL mais je n’en ai pas encore entendu beaucoup de bien jusqu’ici, tu es la première, je le redoute donc un peu, il faudra que je me fasse ma propre opinion ^^’

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