Aujourd’hui, chers lecteurs, je vous propose d’explorer un nouveau tome des Annales du Disque-Monde de Terry Pratchett – pour lesquelles vous avez déjà pu observer mon admiration sans borne dans l’article consacré au treizième tome : Les Petits Dieux ! Comme vous le savez peut-être déjà, il n’est pas nécessaire de lire ces Annales dans l’ordre mais je ne peux m’en empêcher – je dois être un peu mono-maniaque sur les bords – et je me suis donc récemment attaquée au quatorzième tome intitulé Nobliaux et sorcières. Dans ce tome, nous retrouvons trois fameuses sorcières que nous avons pu rencontrer dans les tomes précédents (ou que nous pouvons découvrir à cette occasion, ça fonctionne aussi) aux personnalités bien marquées : nous avons Mémé Ciredutemps, la vieille fille un brin revêche – et par « un brin », comprenez qu’elle peut forcer une buche à s’embraser rien qu’en la foudroyant du regard -, Nounou Ogg, la vieille libidineuse à la tripotée d’enfants et petits enfants et Magrat Goussedaille, la jeunette maladroite terriblement peu sûre d’elle.
Dans ce livre, Magrat est sur le point d’épouser le tout jeune roi Vérence, anciennement bouffon, et tous deux ont du mal à s’adapter aux nouveaux rôles qui leur sont attribués, d’autant plus qu’aucun des deux n’est prêt à l’admettre à l’autre. Un bouffon peut-il, du jour au lendemain, acquérir l’assurance d’un bon souverain ? Peut-on être à la fois reine et sorcière ? Mais, s’il faut abandonner le rôle de sorcière, que fait une reine de ses journées ? Autant de questions qui ne vont pas être facilitées par l’arrivée d’une nouvelle menace au royaume de Lancre : le « beau peuple », les « Nobliaux », aussi connus sous le nom (mais il faut éviter de le prononcer !) d’Elfes. Ces êtres malfaisants et cruels apparaissent d’une rare beauté mais se servent de leur charme et des croyances des gens pour les torturer dans le seul but de s’amuser.
Légende & humanité.
Pour tous, aussi bien lecteurs que personnages, les elfes sont des êtres légendaires, qui n’existent pas mais que l’on apprécie pour leur grande beauté et leur rire mélodieux. Cependant, dans ce livre, Pratchett nous démontre (par la voix de Mémé Ciredutemps et Nounou Ogg) à quel point la mémoire des Hommes est défaillante – vous noterez le H majuscule qui prouve que cette phrase n’est en rien sexiste ! – et ne retient que le plus simple, le plus évident, quitte à oublier des éléments capitaux de l’Histoire – encore avec un grand H même si là, le sexisme n’entre pas vraiment en compte – et à la voir se répéter. Eh oui, en nous parlant d’elfes et de sorcières, Pratchett nous fait une apologie du devoir de mémoire. Les deux vieilles sorcières, Mémé et Nounou Ogg, sont celles qui se souviennent et qui se tiennent donc prêtes à affronter ce fléau tandis que les Hommes oublient le mal que leur ont fait les elfes par le passé et sont prêts à les rappeler dans leur monde. On décèle donc ici une nette opposition entre l’Histoire qui est bien définie et repose sur des faits concrets à la légende qui est fluctuante et ne se fie qu’à une mémoire collective défaillante. Pourtant, il semblerait que ce soit une tare propre aux humains car les nains et géants qui leur sont voisins n’ont apparemment pas oublié aussi vite qu’eux – que nous ? – et conservent, eux, une farouche envie de chasser les elfes loin de leur monde.
Cependant, l’humanité n’est pas non plus totalement condamnée pour autant et le double sens de ce terme lui alloue encore quelques qualités – comme disait mon professeur de philosophie : on ne peut pas avoir tous les défauts ! (et pourtant, certains se sont évertués à essayer de prouver le contraire…) – comme celle de l’« humanité » qui vient s’opposer à la cruauté des elfes. Ceux-ci sont donc accusés, plus ou moins directement, de manquer d’humanité, non au sens où ils ne sont pas humains – de forme humanoïde mais plus grands, plus sveltes, plus beaux et aux oreilles pointues selon la tradition classique en fantasy – mais dans le sens où ils manquent de compassion, de gentillesse, d’empathie et de toutes ces choses qui empêchent la majorité des humains de torturer d’autres êtres juste pour le plaisir de les voir souffrir. Cette fois, on avance totalement en contrepied de la tradition en découvrant des elfes qui, finalement, ne sont pas fidèles à leur réputation, et manquent totalement de cette profonde douceur qu’on leur connaissait. Ils sont certes très beaux, mais seulement parce qu’ils sont entourés d’une sorte de charme leur donnant l’apparence idéale aux yeux de leur interlocuteur, ils rient certes de bon cœur, mais seulement lorsqu’ils s’amusent à maltraiter plus faible qu’eux. À la fois très proches et pourtant fondamentalement dissemblables par rapport aux légendes qui leur sont attribuées, les elfes ont pour eux l’apparence mais sont dénués, à l’intérieur, de ce qu’on appelle « humanité » – mais que l’on retrouve aussi, dans le Disque-Monde, chez d’autres créatures intelligentes donc le terme n’est pas très adapté mais faute de mieux, on fera avec – qui permet compréhension et cohabitation.
Volonté & rôle.
Finalement, affronter les elfes demande une volonté de fer. En effet, il faut être capable de résister à ce charme qui les entoure – et comme ils sont faibles au fer, ça ne peut pas faire de mal d’en barder sa volonté – pour voir au-delà des apparences et déceler leur cruauté naturelle. On a toujours su que Mémé Ciredutemps avait une volonté à toute épreuve mais on en redécouvre encore les limites – inexistantes, en fait -, lui permettant de réaliser des choses jugées impossibles. De même, c’est en faisant preuve d’une grande volonté qu’un groupe de jeunes villageois – que je ne nommerai pas pour ménager un peu de suspense – parvient à dépasser ses limites physiques pour distraire les elfes et échapper au péril qu’ils représentent. Et, à l’inverse, c’est aussi par la volonté que les elfes infiltrent Lancre. En effet, ceux-ci sont totalement soumis à la volonté humaine, c’est elle qui leur donne leur force et leur permet de manipuler les autres. Ainsi, c’est parce que les Hommes ne se souviennent que des bons côtés des elfes et désirent les voir revenir que les elfes ont la possibilité de revenir effectivement. De la même façon, leur charme fonctionne uniquement parce que la personne en face veut voir ce qu’elle voit et que cela annihile toute volonté de rébellion en elle. Une fois cette volonté récupérée, les elfes n’ont finalement que bien peu de pouvoir : la volonté se révèle une force bien supérieure à toute autre ; autant physique que psychologique.
En parallèle de cette volonté toute-puissante, on peut aussi voir les limites de la psychologie humaine à travers les carcans que s’imposent certains personnages. Comme nous le voyions en introduction, les personnages se retrouvent enfermés dans des rôles qui ne leur conviennent pas forcément. Magrat passe de sorcière à reine, Vérence passe de bouffon à roi et tous deux sont déstabilisés, chacun à leur manière, par ce changement majeur. Si Magrat décide de renier totalement son rôle de sorcière – plus ou moins facilement – pour endosser celui de reine – toujours plus ou moins facilement – sans finalement se sentir à l’aise dans aucun des deux, Vérence quand à lui reste profondément ancré à son rôle de bouffon qui lui correspondait davantage et endosse le rôle de roi en public seulement, comme s’il menait une représentation théâtrale permanente. Également, le théâtre est représenté par la petite pièce qu’organisent secrètement les villageois : ils doivent y endosser le rôle de paysans mais également de nobliaux et est alors posée la question de la différence entre le milieu rural et citadin – différence encore soulignée par l’arrivée de mages profondément citadins dans le petit royaume de Lancre. D’abord très étonnés de la façon dont ils sont dépeints par les citadins, les paysans finissent par s’apercevoir que ces personnages ne sont pas si éloignés que cela de la réalité, bien que caricaturés. Et ces différences d’adaptation aux rôles que chacun doit endosser dans cette histoire nous laisse penser que, finalement, le rôle inhérent à chacun n’est peut-être pas celui que lui impose la société mais plutôt celui dans lequel il se sent le plus à l’aise.
Voici donc, chers lecteurs, ce que j’ai pu retenir de ma lectures du quatorzième tome des Annales du Disque Monde : Nobliaux et sorcières de Terry Pratchett ! Si vous avez des avis convergents ou divergents sur cette lecture, n’hésitez pas à en parler dans les commentaires et je vous dis à bientôt pour une nouvelle lecture mais, selon les propres termes de Michael Ende, « ceci est une autre histoire, qui sera contée une autre fois ».
Une belle année 2016, qu’elle t’apporte tout ce que tu souhaites 🙂
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Merci beaucoup, une bonne année également et qu’elle te soit riche en nouveaux coups de cœur livresques 😉
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J’aime beaucoup tes avis, détaillés et bien écrits ! =) Je ne suis pas très fantasy mais tu me donne envie de m’y plonger =)
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C’est très gentil, merci !
Le Disque-Monde c’est de la fantasy comique donc même si le genre ne t’emballe pas trop, l’humour devrait pouvoir le faire sans problème 🙂
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J’avoue n’avoir lu que deux tomes des « Annales du Disque-Monde » – contrainte et forcée par mon frère, grand fan, qui me les a mis entre les mains pour me détendre à l’époque où j’écrivais mon mémoire de fin d’études. C’étaient « Les Petits Dieux » et « Le Régiment Monstrueux » qui m’ont beaucoup faite rire. J’aimerais beaucoup en relire, car ce que j’ai lu de Pratchett est trop peu pour y consacrer une chronique, je pense! 🙂
En attendant, tous mes voeux pour 2016!
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Ah bah pour ce détendre, il a tapé fort : on est sûr de passer un bon moment avec un roman du Disque-Monde ! J’espère que tu t’y remettras car on ne lis jamais assez de Pratchett et je serais bien curieuse de voir ce que tu as à en dire^^
Une bonne année également 🙂
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