Ce petit papier, chers lecteurs, aura pour sujet un des incontournables de la fantasy dont l’adaptation cinématographique aura été bien décevante à mes yeux : À la Croisée des mondes de Philip Pullman. Commençons par le commencement : le premier tome de cette trilogie, Les Royaumes du Nord. Ce roman se déroule dans un monde en pleine révolution industrielle, géographiquement proche du nôtre mais dans lequel la magie a pris le pas sur les avancées technologiques. Dans ce monde, chaque être humain a, à ses côtés, un petit être en forme d’animal qui ne le quitte pas et lui est intimement lié, appelé daemon. La protagoniste de cette histoire, Lyra, âgée de douze ans, vit au Jordan College à Oxford avec son daemon, Pantalaimon. Enfant à moitié sauvage qui aime par-dessus tout être libre et faire des bêtises, Lyra est experte en mensonge et en dissimulation mais n’est pas mauvaise pour autant et préfère juste jouer avant les enfants du quartier plutôt qu’être enfermée seule avec les savants de l’université. Sa vie se déroule ainsi jusqu’à ce que deux faits viennent la perturber : premièrement, grâce à Lord Asriel, l’oncle de Lyra, les savants découvrent la Poussière, une particule invisible qui se dépose sur toute personne adulte ; deuxièmement, plusieurs enfants disparaissent à Oxford, dont le meilleur ami de Lyra. Elle va donc être amenée à se lancer à la poursuite des kidnappeurs et à en découvrir davantage sur cette mystérieuse Poussière.
Un extraordinaire voyage dans un pays imaginaire, des paysages à couper le souffle, une certaine forme de magie et une jeune héroïne chargée de sauver le monde : pas de doute, nous sommes bien dans un roman de fantasy ! Dit comme ça, cela peut sembler manquer quelque peu d’originalité et pourtant, la façon d’aborder tout cela est vraiment différente. Une inspiration biblique est nettement notable mais, en opposition totale avec Le Monde de Narnia, de C.S. Lewis, tout est contesté et revisité. L’Église est remise en question, l’âme est extériorisée sous la forme du daemon et la connaissance apportée par le pêché originel est concrétisée par la Poussière. Cependant, tout se concentre sur le destin d’une seule jeune fille, Lyra, une enfant marquée par son insouciance et son désir de liberté mais qui doit faire face au monde, entre non-dits, mensonges et privations.
Insouciance & liberté.
Même si elle est vive et intelligente, l’héroïne de ce roman n’a que douze ans et cette part d’enfance qui définit le personnage est très bien représentée, notamment par son insouciance. En effet, comme n’importe quelle jeune fille de cet âge, Lyra n’a qu’une idée en tête : fuir l’école pour aller rejoindre ses amis – avouons-le : nous avons tous été tentés par l’école buissonnière, quand nous n’y avons pas carrément cédé. Seule enfant élevée à l’université, Lyra cherche à s’évader de Jordan Collège le plus possible sans s’inquiéter des soucis que cela peut causer aux adultes en charge d’elle. Ses meilleurs souvenirs, ce qui fait tout le piment de sa vie, ce sont les jeux qu’elle organise avec ses amis, les petites guérillas qui voient s’affronter les enfants des différents quartiers, les histoires qu’elle s’invente en allant explorer tous les passages mystérieux de l’école. Lyra n’est pas de ces héros qui adorent par-dessus tout lire et étudier, elle ne se préoccupe pas vraiment de son éducation et encore moins de son avenir. L’insouciance étant constitutive de l’enfance, Lyra vit au présent, cherche simplement à s’amuser, à vivre des aventures imaginaires et à s’évader.
Finalement, Lyra cherche donc à s’évader comme le fait chaque lecteur en se tournant vers un roman de fantasy car elle se sent écrasée par un quotidien trop monotone et rêve avant tout de liberté. C’est cela qui fait que le personnage est, malgré tout, un personnage auquel le lecteur peut s’identifier très facilement. Pourtant, c’était un pari audacieux de proposer à des gens qui aiment lire une héroïne qui n’ouvre un livre que de force mais Pullman parvient à nous en rapprocher par ce biais de l’évasion, de la quête de liberté commune au personnage et à nous-mêmes, lecteurs. Rebelle à toute autorité et à toute convention sociale, Lyra passe une bonne partie de son temps à fuir, à chercher à échapper à toute contrainte et au monde qui l’entoure – que ce soit au sens métaphorique lorsqu’elle s’invente des histoires ou au sens littéral lorsque ses amis ou elle-même se retrouvent prisonniers. Hors, n’est-ce pas précisément ce que nous cherchons à faire en ouvrant un roman de fantasy ?
Captivité & mensonges.
Justement, tout le roman repose sur cette privation de liberté dont Lyra est la victime. Si, au début, ce sont seulement les professeurs du Jordan College qui l’empêchent juste – ou, du moins, essayent juste de l’empêcher – d’aller vagabonder partout dans la nature, cela va bien vite changer. Quand Lyra quitte Jordan College, c’est pour suivre la beauté froide de Madame Coulter qui devient sa tutrice et lui laisse encore moins de liberté que ses anciens enseignants : plus encore que de ne plus pouvoir sortir, Lyra ne peut même plus être elle-même, elle doit se plier aux grandes exigences de cette femme en entrant dans le moule de la société et chaque pas de travers est sanctionné – devinez comment ? – par un enfermement dans sa chambre – bien sûr ! En quelques sortes, Lyra est captive de l’aura de Madame Coulter – comme tous ceux qui la rencontrent, d’ailleurs – qui dégage un charme et une autorité qui la fascinent. Par la suite, l’enfermement s’accentue encore lorsque Lyra retrouve les enfants qui ont été enlevés et qui, bien sûr, sont retenus prisonniers – parce que bon, quand tu te fais kidnapper, tu es rarement invité à aller gambader joyeusement dans la forêt. Après Jordan College et l’emprise de Madame Coulter, Lyra découvre un enfermement de plus en plus restreint. Finalement, chaque fois qu’elle tente de fuir, elle perd encore un peu plus de sa liberté et se dirige toujours vers un avenir de pire en pire, au point d’en venir à regretter les heures passées à Jordan College, voire chez Madame Coulter. Une façon d’exprimer – peut-être ? – qu’il n’est pas toujours sage d’aller voir si l’herbe n’est pas plus verte ailleurs.
Autre point essentiel du roman : le mensonge. Je l’ai déjà dit plus haut : Lyra est une formidable menteuse. Mais elle n’est pas seule. En fait, la plupart des adultes qui l’entourent mentent également de façon éhontée – on comprend alors d’où elle a pris cette bonne attitude. Que ce soient les professeurs de Jordan College, qui lui cachent des choses pour sa sécurité, Lord Asriel qui ne lui révèle pas ses origines et la dissimulent quand cela l’arrange ou Madame Coulter qui refuse de lui parler de ses véritables motivations et manipule tout le monde en fonction de ses intérêts, nombreux sont les adultes à mentir autour de Lyra et il est fort probable que cela ait eu une certaine influence sur son développement. En effet, Lyra elle-même est très fière d’être une excellente menteuse et affirme haut et fort que c’est son seul talent, grâce auquel elle se sort de tous les mauvais pas – et on ne peut espérer la dédouaner en disant qu’elle ne sait pas ce qu’elle fait étant donné qu’elle entre très vite en possession d’un instrument, l’aléthiomètre, qui répond toujours par l’exacte vérité à chaque question qu’on lui pose. De fait, on s’aperçoit vite que Lyra est une très bonne conteuse qui peut inventer des histoires en un tour de main mais s’en sert donc à de mauvaises fins, pour tromper le monde… Ne peut-on y voir un parallèle avec l’auteur, qui lui-même invente des histoires ? Si on pense à l’histoire du roman, souvent accusé d’être mensonger, on peut aisément songer que c’est un formidable pied-de-nez que Pullman fait là aux détracteurs originels du roman et aux détracteurs actuels de la fantasy – accusée d’infantilisme et de distraction régressive – en détournant leurs critiques pour les concentrer en une héroïne pleine de panache.
Voilà, c’est la fin de ce petit papier sur le premier tome de la trilogie À la Croisée des mondes de Philip Pullman. Nous nous retrouvons à l’occasion pour parler de la suite mais, comme l’a très justement dit Michael Ende, « ceci est une autre histoire, qui sera contée une autre fois ».
J’avais adoré ce roman quand j’étais plus jeune, que de bons souvenirs! Et je confirme que l’adaptation cinématographie n’était pas à la hauteur…
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J’avais trouvé le tome 1 assez sympathique sans pousser l’analyse aussi loin (tu viens de me faire revoir mon point de vue sur les daemons mais peu importe je trouve le concept tout aussi intéressant) mais je n’ai jamais réussi à aller au delà de 50 pages pour le tome 2 (et ce n’est pas faute d’avoir essayé…). Par contre je crois me rappeler que ma co-blogueuse lis et relis régulièrement l’intégrale…
Bref plutôt sympa comme blog (désolée je crois que Truc est déjà passée par là mais perso j’avais pas encore fait gaffe…) j’ai hâte de voir ce que tu vas proposer comme article (soyons réalistes la fantaisie c’est tout un paquet de roman géniaux, même si on a parfois quelque mauvaises surprises…)
Nola
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Je t’avouerais que j’ai dû m’y remettre à trois fois aussi pour me lancer dans le tome 2 ; je ne sais pas trop pourquoi, il ne commence pourtant pas si lentement que ça, c’est peut-être les divers changements de mondes qui font ça ou un petit truc qui manque ! (peut-être aussi parce que le premier avait une si belle fin) Mais finalement, je me suis accrochée et je ne le regrette pas, surtout pour le troisième tome qui est grandiose (et Pullman a un talent indéniable pour créer des fins extraordinaires !). Bref, j’espère qu’un jour tu auras le courage de le finir 🙂
Contente que le blog te plaise, je dirais la fantasy est comme tous les autres genres : il y a du bon et du moins bon, c’est bien pour cela qu’il ne faut pas partir avec un a priori dessus^^
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Une série que j’ai lu il y a longtemps! J’avais étonné de voir que le tome 2 était très différent du premier avec un nouveau personnage et une histoire qui prend un tournant différent … Mais j’avais énormément aimé!! Je crois que le 3ème tome est le premier livre pour lequel j’ai pleuré! ^^ Je trouvais la fin tellement injuste!! ^^
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