Le Trône de fer 1, de George R.R. Martin

   Inutile, chers lecteurs, de vous présenter le livre dont nous allons parler aujourd’hui puisqu’il s’agit d’une œuvre incontournable de la fantasy contemporaine : je parle bien sûr du Trône de fer. Si tout le monde n’a pas encore lu cette série plus que conséquente – oui, je dis « pas encore » car je reste optimiste en me disant qu’on ne peut pas passer à côté –, personne n’aura pu ne pas (au moins) entendre parler de la série dérivée, Game of Thrones – que je ne regarde personnellement pas, mais ceci est un autre débat. Pour cette fois, il ne sera question que du tome 1, rappelons-en donc les principaux éléments d’intrigue : après un prologue dans lequel on voit des hommes de la Garde de Nuit se faire attaquer par des morts-vivants enfouis dans la neige, on fait la rencontre de la famille Stark. Ceux-ci reçoivent la visite de la famille royale : Eddard, le père Stark, a autrefois aidé le roi, Robert Baratheon, à accéder au trône en renversant celui qu’ils nomment le « roi fou », Aerys Targaryen, dont les descendants se cachent désormais à l’étranger, dans les pays libres. Cette visite nous permet de découvrir une troisième famille, celle de la reine Cersei, les Lannister. Les quatre familles les plus importantes de l’histoire sont donc déjà mises en place : la lutte sans merci pour le pouvoir peut commencer entre Stark, Baratheon, Targaryen et Lannister. Cette visite, cependant, n’est pas faite par simple courtoisie : Robert offre à Eddard de devenir son second, la Main du Roi. Les Stark partent donc pour la capitale de Westeros, Port-Réal, ne laissant derrière eux que Jon Snow, le fils bâtard d’Eddard, qui estime ne pas avoir sa place à la cour et préfère suivre son oncle dans la Garde de Nuit, qui protège la frontière Nord du royaume.


Au cas improbable où certains ne connaîtraient pas encore l’histoire, je ne m’enfoncerai pas plus en détail dans l’intrigue et me contenterai d’ajouter, pour ceux qui seraient plus familiers de la série, que le tome s’achève avec l’arrestation d’Eddard Stark (donc l’épisode 7 de la première saison, a priori). Dans ce livre, en dehors de ce qui ressemble à des morts-vivants auxquels personne ne croit et des loups-garous – qui n’ont rien à voir avec ceux auxquels nous sommes habitués –, on découvre une fantasy médiévale bien peu teintée de magie qui prend le contre-pied de J.R.R. Tolkien, sa principale source d’inspiration. Il ne s’agit plus, ici, de la lutte du bien contre le mal ou de sauver le monde d’une puissance maléfique et toute-puissante mais d’une lutte de pouvoir pour déterminer qui sera le plus fort – autant physiquement que psychologiquement, selon les cas – et pourra gagner le droit de régner – et aussi, bien souvent, de survivre.

Ligne horizontale       Réalisme & magie.

      Le point fort de cette saga, bien sûr, c’est son aspect réaliste que l’auteur prône avant tout : fini la fantasy édulcorée dans laquelle le héros au cœur vaillant gagne toujours en écopant, tout au plus, d’une vilaine égratignure et en tatanant tous les vilains qui veulent faire le mal parce qu’ils sont mauvais. Non, ici, pas de manichéisme, personne n’est tout bon ou tout mauvais et le monde entier ne dépend pas de la victoire de notre personnage préféré. Le monde tourne, avec ou sans nos protagonistes, et il est aussi dur, cruel et décadent que celui que nous connaissons. Martin, désirant écrire une « fantasy historique », s’inspire du Moyen Âge occidental du XIVe siècle pour créer son univers et n’en ôte ni la crasse, ni la violence – ni le sexe, certes. Comme en fantasy traditionnelle, on trouve, dans Le Trône de fer, de jolis châteaux – que ce soit Winterfell couvert de neige, Castral-Roc en bord de mer ou les Eyriés perchés à flanc de montagne, je ne peux nier qu’ils m’ont tous fait rêver comme une petite fille voulant aller au bal –, des chevaliers aux armures impressionnantes (on pensera notamment au blanc de la Garde Royale ou au noir de la Garde de Nuit), des paysages grandioses et des demoiselles en détresse – bon, d’accord, surtout une – mais ces motifs classiques sont détournés et subissent la cruelle prise de la réalité : les châteaux tombent et changent de main, les armures ne suffisent pas à protéger les chevaliers et peuvent être revêtues par des hommes indignes, les paysages sont ravagés et les demoiselles ne sont pas toujours sauvées par leurs courageux amants.

     En revanche, un motif constitutif de la fantasy se fait très discret dans ce premier tome : la magie. En effet, la magie est amenée très progressivement dans l’univers du Trône de fer et, dans ce premier livre, elle est principalement présentée comme une légende. On voit, certes, dans le prologue, des hommes de la Garde de Nuit se faire tuer par des marcheurs blancs mais le lecteur est le seul à le savoir, témoin du crime et complice involontaire par son silence. Pour la plus grande majorité des personnages, voir les morts revenir à la vie semble impossible : ce sont des histoires que racontent les nourrices, supposées s’être passées des milliers d’années plus tôt, et que seuls les enfants veulent bien croire – un peu comme chez nous, en somme. De même, les dragons sont évoqués et, même si l’opinion publique croit en leur existence, il est communément admis qu’ils sont éteints depuis longtemps et que rien ne pourrait les faire revenir – presque comme des dodos pour nous, les dragons font partie du passé et ne sont plus d’actualité à Westeros. Le seul animal extraordinaire que nous croisions réellement dès le premier tome, ce sont ces fameux loups-garous, emblèmes de la famille Stark et qui s’attachent à chacun des enfants. Néanmoins, mêmes ceux-ci sont finalement bien peu magiques : ils n’ont rien à voir avec des hommes maudits qui se transformeraient à la pleine lune mais sont plutôt des loups ordinaires, plus gros et plus intelligents que leurs congénères – une évolution supérieure au loup commun pour survivre dans les climats particulièrement rudes qui règnent autour de Winterfell, Darwin aurait sûrement approuvé !

Ligne horizontale       Psychologie & Histoire.

      Le réalisme de l’œuvre est également très lié à la psychologie extrêmement développée et complexe de chaque personnage. Comme nous le disions plus haut, personne n’est tout blanc ou tout noir dans cet univers ; chacun a ses raisons d’agir – qu’elles soient plus ou moins bonnes –, un passé et une façon de penser personnelle. Ceci est particulièrement bien illustré par l’organisation des chapitres dont chacun porte le nom d’un personnage qui apporte son point de vue personnel sur l’histoire. Ainsi, plusieurs chapitres peuvent revenir sur des mêmes événements qui seront perçus de manière totalement différente en fonction du point de vue du personnage sur lequel le narrateur est centré et chacun apporte une réelle plus-value littéraire. Par exemple, Sansa, l’aînée des filles Stark, est le stéréotype même de l’héroïne des romans classiques, belle et romantique, qui passe son temps à rêver au prince charmant et aux délices de la cour ; elle met en avant l’aspect méta-littéraire de l’œuvre. Totalement aveuglée par ses désirs, elle refuse de voir le mal qui règne autour d’elle et ce personnage purement littéraire fait un dur retour à la réalité. Arya, sa cadette, tout au contraire, est l’archétype du personnage d’héroïc fantasy, vive et débrouillarde, qui veut apprendre à se battre et se rebelle à toute autorité. Elle est celle qui s’intègre le mieux à tous les bouleversements de leurs vies car elle est faite pour vivre ces aventures ; elle est ainsi celle à laquelle le lecteur est le plus facilement enclin à s’identifier. Cersei, l’épouse de Robert Baratheon, est la beauté empoisonnée, forcée à se marier pour servir les ambitions politiques de son père. Arrogante au possible, elle se laisse facilement détester mais agit toujours dans l’intérêt de ses enfants, ce qui rend l’antagoniste principale de ce début de saga finalement plus humaine.

      Même si je n’ai pris ici que quelques exemples féminins, les hommes sont évidemment tout aussi développés psychologiquement – je ne ferai pas de blague sexiste, ce serait trop facile – mais je n’aurai jamais assez de ces quelques lignes pour parler de tous les personnages du Trône de fer – eh oui, ne serait-ce que dans le premier tome, c’est déjà un bestiaire bien rempli. Une distinction, en revanche, que l’on peut constater entre les deux sexes dans ce premier tome, c’est leur implication politique : en dehors d’Eddard Stark – le seul homme droit de Westeros, sa femme ne le mérite pas ! –, les hommes cherchent le pouvoir quand les femmes veulent davantage protéger leur famille. Les intrigues politiques tournent principalement autour des hommes puisque ce sont eux qui exercent le pouvoir et qui écrivent l’Histoire. Les femmes peuvent seulement, au mieux, influencer, plus ou moins volontairement (prenons l’exemple de Cersei qui provoque la chute de son mari ou de Daenerys qui est offerte au mariage par son frère pour obtenir une armée) mais n’ont pas la possibilité d’exercer le pouvoir. Cette lutte politique est finalement au cœur de l’œuvre ; on voit ainsi que l’enjeu de ce roman diverge de celui des romans de fantasy habituels. On remplace la lutte du bien contre le mal par une lutte des classes où chacun veut grappiller un peu plus de pouvoir. Dès lors, plus de gagnant évident (plus de figure du gentil qui s’oppose au méchant mais seulement des intérêts personnels) mais une multitude de héros qui se battent pour leur survie et qui ont des chances de victoire équitables – et un suspense qui n’a jamais été plus vivace. Il ne s’agit plus d’une seule grande Histoire romancée autour d’un événement apte à bouleverser le monde mais d’une multitude d’histoires personnelles qui, prises ensemble, forment l’Histoire collective en s’influençant les unes les autres.

     Et voilà, c’était mon petit papier sur le premier tome du Trône de fer ! N’hésitez pas à partager votre avis dans les commentaires et nous nous retrouvons la semaine prochaine pour un nouvel article mais, comme l’a dit Michael Ende, « ceci est une autre histoire, qui sera contée une autre fois ».

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